Tong Mo
童末
Présentation
par
Brigitte Duzan, 17 novembre 2024
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Tong
Mo |
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Née en
1985 à Yixing, dans le Jiangsu (江苏宜兴),
Tong Mo se démarque de la génération dite « post’80 » : elle
est anthropologue et ses écrits sont nourris de ses
recherches en anthropologie.
Ses récits
de fiction sont fondés sur son travail de terrain, mais vu
avec un regard distancié, avec le recul de la réflexion.
Elle ne voit cependant pas de séparation, et encore moins
d’incompatibilité, entre l’anthropologie et la littérature,
au contraire ; Auden,
dit-elle,
était géologue quand il a commencé à écrire de la poésie,
et le Brésilien Euclides da Cunha était correspondant de
guerre et poète avant d’écrire « Hautes Terres » (Os
Sertões)
.
« Un livre ahurissant… »
écrit le critique du Monde
à
la sortie de la traduction en français de cet ouvrage, en
2012, « Devant votre bibliothèque, vous ne saurez où ranger
ce livre tant il s'empare, pour mieux les défaire, de nos
malheureuses et rudimentaires alvéoles : roman, poésie,
essai, philosophie, etc. Rhizomateuse, [cette œuvre]
entremêle les aspects historiques, anthropologiques,
poétiques, géologiques et romanesques de son époque…. »
Telles sont les références de Tong Mo : elles incitent à se
pencher plus avant sur ce qu’elle écrit.
Contes et nouvelles
Elle a
commencé par écrire des contes, dont elle a publié un
recueil, « Conteurs » (《故事们》),
ou plutôt « Diseurs d’histoires ».
En
septembre 2020 sort son premier recueil de nouvelles, « Le
nouveau continent » (《新大陆》),
douze nouvelles
annoncées comme étant écrites dans un style
« expérimental ». Mais c’est plutôt la perspective qui est
originale. Tong Mo prend pour thème la vie de minorités
ethniques, aux confins du monde chinois, mais elle le fait
d’un point de vue inhabituel, en ouvrant ce monde étrange
sur une dimension intérieure et contemporaine. Elle fait de
son expérience d’anthropologue le tremplin d’une réflexion
sur le monde moderne, un monde post-globalisation, avec ses
innombrables diasporas et la tentation frileuse du repli sur
soi-même. En outre, les nouvelles ont été écrites entre 2006
et 2018 et représentent son parcours personnel. Le « nouveau
continent » est une découverte de l’autre autant que de
soi-même.
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Le nouveau continent |
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Un
premier roman
En mars
2024, elle publie son premier roman, « Les hommes au
centre de la Terre » (《大地中心的人》),
qui a été parmi les finalistes en compétition pour le prix
Blancpain-Imaginist lors de la
7e édition de ce prix.
Le roman redonne vie à d’anciennes légendes du peuple Yi (彝族).
Tong Mo est partie des légendes du mont Liangshan (凉山
) :
dans ces montagnes vivaient dans des maisons comme des nids
d’aigles un peuple appelé Nuosu qui se disaient « les hommes
au centre de la terre »
.
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Les hommes au centre de
la terre |
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Tong Mo a
lu plusieurs livres sur les monts Liangshan à partir de
2016. Parmi ceux-ci, il y avait l’histoire d’un Han enlevé
et gardé en captivité par les Yi pendant plus de vingt ans
pendant la période de la République de Chine. L’histoire a
été notée par l’anthropologue Lin Yaohua (林耀华)
et c’est ce qui a inspiré à Tong Mo la trame de son roman.
Elle a ensuite beaucoup lu sur les Yi, leur système social,
leurs sacrifices rituels, leurs coutumes matrimoniales,
leurs ballades, mythes et légendes. En 2017, elle est allée
en voyage dans ces montagnes pendant un mois. Outre les
mythes et légendes, préalablement à l’écriture du roman,
elle a lu, dans sa traduction en chinois, un texte récité
lors des cérémonies funéraires, le « Guide de la voie » (Zhi
lu jing《指路经》),
destiné à aider l’âme du défunt à trouver son chemin pour
revenir aux terres des ancêtres, qui est en même temps une
sorte de carte de la mémoire collective des routes
migratoires de ce peuple.
Dans son
roman, Tong Mo a cependant réinventé le monde des Liangshan
comme une enclave montagneuse immergée dans ses légendes,
mais pas pour la seule couleur locale : elle a tenté de
faire revivre dans le contexte contemporain un texte-source
porteur d’un inconscient historique, pour en faire un guide
et une référence pour la vie moderne. Elle a recréé tout ce
monde de légendes Yi, avec leur épopée de la création du
monde et en particulier l’ « esprit mère » (“鬼母”)
Zizi nizha (孜孜尼乍),
qui lui a rappelé l’histoire d’Antigone : comme Antigone
défiant le pouvoir patriarcal en refusant de se plier aux
règles funéraires, Zizi nizha est une rebelle exilée aux
confins du monde patriarcal. On retrouve là un trait
récurrent dans le monde moderne, et dans la littérature, des
sœur Brontë à Toni Morrison et bien d’autres. Les légendes
Yi s’ouvrent ainsi sur tout un imaginaire immémorial et
moderne. Le roman peut aussi être lu comme une allégorie de
l’éveil de la conscience féminine aujourd’hui
.
Art,
anthropologie et fiction
Dans le
cadre de la 11e Biennale d’art de Shanghai (上海艺术双年展)
qui s’est tenue du 11 novembre 2016 au 12 mars 2017, Tong Mo
a participé à un projet intitulé « Métamorphose du dieu de
la vallée » (“谷神变”).
L’idée du projet était symbolisée par un bon pour un emprunt
de céréales émis par l’Armée rouge dans le district de
Ninghua (宁化县),
à l’ouest du Fujian, dans les années 1930. La thématique
suggérée était celle du lien entre campagne et ville. C’est
à partir de l’espace narratif ainsi suggéré que Tong Mo a
imaginé l’histoire d’une famille hakka entre Ninghua et
Shanghai, mais dépassant le simple discours opposant zone
rurale et zone urbaine – la ville de Shibi, dans le district
de Ninghua, est réputée être le berceau des Hakka (客家人的摇篮).
Tong Mo
est en cours d’écriture de deux textes qui recoupent
également ses recherches de terrain : « Chronique des champs
du peuple Niè
Gao » (《圼杲田野志》)
et « Le bateau du millet du Bouddha » (《弥陀粟之船》).
Le projet du premier texte est né d’un petit calepin
manuscrit qu’elle a trouvé sur un étal d’un bourg du Guizhou
(贵州苦俍乡) :
les notes d’un anthropologue chinois, arrivé là en 1985,
alors que l’anthropologie venait juste de renaître en Chine,
un de ses lointains précurseurs en quelque sorte.
L’introduction qu’elle a écrite sur ce carnet laisse
présager un texte fascinant
.