Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Tong Mo 童末

Présentation

par Brigitte Duzan, 17 novembre 2024

 

 

Tong Mo

 

 

Née en 1985 à Yixing, dans le Jiangsu (江苏宜兴), Tong Mo se démarque de la génération dite « post’80 » : elle est anthropologue et ses écrits sont nourris de ses recherches en anthropologie.

 

Ses récits de fiction sont fondés sur son travail de terrain, mais vu avec un regard distancié, avec le recul de la réflexion. Elle ne voit cependant pas de séparation, et encore moins d’incompatibilité, entre l’anthropologie et la littérature, au contraire ; Auden, dit-elle, était géologue quand il a commencé à écrire de la poésie [1], et le Brésilien Euclides da Cunha était correspondant de guerre et poète avant d’écrire « Hautes Terres » (Os Sertões) [2]. « Un livre ahurissant… » écrit le critique du Monde à la sortie de la traduction en français de cet ouvrage, en 2012, « Devant votre bibliothèque, vous ne saurez où ranger ce livre tant il s'empare, pour mieux les défaire, de nos malheureuses et rudimentaires alvéoles : roman, poésie, essai, philosophie, etc.  Rhizomateuse, [cette œuvre] entremêle les aspects historiques, anthropologiques, poétiques, géologiques et romanesques de son époque…. » Telles sont les références de Tong Mo : elles incitent à se pencher plus avant sur ce qu’elle écrit.

 

Contes et nouvelles

 

Elle a commencé par écrire des contes, dont elle a publié un recueil, « Conteurs » (《故事们》), ou plutôt « Diseurs d’histoires ».

 

En septembre 2020 sort son premier recueil de nouvelles, « Le nouveau continent » (《新大陆》), douze nouvelles [3] annoncées comme étant écrites dans un style « expérimental ». Mais c’est plutôt la perspective qui est originale. Tong Mo prend pour thème la vie de minorités ethniques, aux confins du monde chinois, mais elle le fait d’un point de vue inhabituel, en ouvrant ce monde étrange sur une dimension intérieure et contemporaine. Elle fait de son expérience d’anthropologue le tremplin d’une réflexion sur le monde moderne, un monde post-globalisation, avec ses innombrables diasporas et la tentation frileuse du repli sur soi-même. En outre, les nouvelles ont été écrites entre 2006 et 2018 et représentent son parcours personnel. Le « nouveau continent » est une découverte de l’autre autant que de soi-même.

 

 

Le nouveau continent

 

 

Un premier roman

 

En mars 2024, elle publie son premier roman, « Les hommes au centre de la Terre » (《大地中心的人》), qui a été parmi les finalistes en compétition pour le prix Blancpain-Imaginist lors de la 7e édition de ce prix. Le roman redonne vie à d’anciennes légendes du peuple Yi (彝族). Tong Mo est partie des légendes du mont Liangshan (凉山 [4]) : dans ces montagnes vivaient dans des maisons comme des nids d’aigles un peuple appelé Nuosu qui se disaient « les hommes au centre de la terre » [5].

 

 

Les hommes au centre de la terre

 

 

Tong Mo a lu plusieurs livres sur les monts Liangshan à partir de 2016. Parmi ceux-ci, il y avait l’histoire d’un Han enlevé et gardé en captivité par les Yi pendant plus de vingt ans pendant la période de la République de Chine. L’histoire a été notée par l’anthropologue Lin Yaohua (林耀华) et c’est ce qui a inspiré à Tong Mo la trame de son roman. Elle a ensuite beaucoup lu sur les Yi, leur système social, leurs sacrifices rituels, leurs coutumes matrimoniales, leurs ballades, mythes et légendes. En 2017, elle est allée en voyage dans ces montagnes pendant un mois. Outre les mythes et légendes, préalablement à l’écriture du roman, elle a lu, dans sa traduction en chinois, un texte récité lors des cérémonies funéraires, le « Guide de la voie »  (Zhi lu jing《指路经》), destiné à aider l’âme du défunt à trouver son chemin pour revenir aux terres des ancêtres, qui est en même temps une sorte de carte de la mémoire collective des routes migratoires de ce peuple.

 

Dans son roman, Tong Mo a cependant réinventé le monde des Liangshan comme une enclave montagneuse immergée dans ses légendes, mais pas pour la seule couleur locale : elle a tenté de faire revivre dans le contexte contemporain un texte-source porteur d’un inconscient historique, pour en faire un guide et une référence pour la vie moderne. Elle a recréé tout ce monde de légendes Yi, avec leur épopée de la création du monde et en particulier l’ « esprit mère » (“鬼母”) Zizi nizha (孜孜尼乍), qui lui a rappelé l’histoire d’Antigone : comme Antigone défiant le pouvoir patriarcal en refusant de se plier aux règles funéraires, Zizi nizha est une rebelle exilée aux confins du monde patriarcal. On retrouve là un trait récurrent dans le monde moderne, et dans la littérature, des sœur Brontë à Toni Morrison et bien d’autres. Les légendes Yi s’ouvrent ainsi sur tout un imaginaire immémorial et moderne. Le roman peut aussi être lu comme une allégorie de l’éveil de la conscience féminine aujourd’hui [6].

 

Art, anthropologie et fiction

 

Dans le cadre de la 11e Biennale d’art de Shanghai (上海艺术双年展) qui s’est tenue du 11 novembre 2016 au 12 mars 2017, Tong Mo a participé à un projet intitulé « Métamorphose du dieu de la vallée » (“谷神变”). L’idée du projet était symbolisée par un bon pour un emprunt de céréales émis par l’Armée rouge dans le district de Ninghua (宁化县), à l’ouest du Fujian, dans les années 1930. La thématique suggérée était celle du lien entre campagne et ville. C’est à partir de l’espace narratif ainsi suggéré que Tong Mo a imaginé l’histoire d’une famille hakka entre Ninghua et Shanghai, mais dépassant le simple discours opposant zone rurale et zone urbaine – la ville de Shibi, dans le district de Ninghua, est réputée être le berceau des Hakka (客家人的摇篮).

 

Tong Mo est en cours d’écriture de deux textes qui recoupent également ses recherches de terrain : « Chronique des champs du peuple Niè Gao » (《圼杲田野志》) et « Le bateau du millet du Bouddha » (《弥陀粟之船》). Le projet du premier texte est né d’un petit calepin manuscrit qu’elle a trouvé sur un étal d’un bourg du Guizhou (贵州苦俍乡) : les notes d’un anthropologue chinois, arrivé là en 1985, alors que l’anthropologie venait juste de renaître en Chine, un de ses lointains précurseurs en quelque sorte. L’introduction qu’elle a écrite sur ce carnet laisse présager un texte fascinant [7].

 


 


[1] À quinze ans, il pensait devenir ingénieur des mines…

[2] Grand classique de la littérature sud-américaine de la fin du 19e siècle. Da Cunha comptait parmi ses admirateurs Jean Jaurès, Blaise Cendrars et Borgès ; « Hautes Terres » a inspiré « La guerre de la fin du monde » de Vargas Llosa…

[3] La caverne  洞穴/La fille de Gan Jiang et Mo Ye 干将莫邪之女/拉乌霍流/Le nouveau continent 新大陆/Éclipse totale 全蚀/Sangsang Quwu, un talent semblable à un trou noir 桑桑曲乌,或近似黑洞的天赋/À mi-chemin entre brume et poussière 穿过尘雾的中途/Ferment de verre 玻璃酿/Une bougie blanche 白烛/ Une flamme moyenne 中等火焰/La balade de l’immortel ivre 醉仙游/ Le nid suspendu 悬巢 

Le recueil est publié aux Éditions des lettres et des arts du Sichuan (四川文艺出版社), dans une collection de littérature dite « Post-vague » (后浪文学) où figurent entre autres des traductions de romans d’auteurs étrangers comme Olga Tokarczuk, Herta Müller, Paul Theroux, etc.

[4] À distinguer du mont Liang (avec un autre caractère : 梁山) où se passe le roman « Au bord de l’eau » (《水浒传》). Il s’agit ici de la préfecture autonome yi de Liangshan (凉山彝族自治州), au sud du Sichuan.

[5] Yizu (彝族) est dérivé de n(u)osu. Leur histoire très ancienne est celle d’un peuple qui a longtemps résisté aux tentatives d’assimilation jusqu’à ce que, sous les Qing, ils se révoltent et soient obligés de se replier sur des régions montagneuses du sud-ouest. Les Nuosu sont la branche nord des Yi, les plus nombreux, et à l’origine d’un langage écrit, mais non standardisé.

[6] Voir son interview sur le roman pour le Nanfang dushi bao ( Southern Daily) : https://m.mp.oeeee.com/a/BAAFRD000020240617964649.html

[7] Préface à la « Chronique du peuple Niegao »  (《圼杲民族志》序) :

https://app.aves.art/api/lb_post/share?id=116&continueFlag=d5cb040d4d90bbd38fb637cc8c5553a3

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.