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Shuang
Xuetao
双雪涛
Présentation
par Brigitte
Duzan, 8 novembre 2021, actualisé 23 mars 2022
Né en 1983 à Shenyang, dans la province du Liaoning
(辽宁沈阳),
Shuang Xuetao est un jeune romancier qui a passé une
vingtaine d’années à soigner et peaufiner son art
narratif et son style en écrivant des nouvelles,
nouvelles courtes et moyennes (novellas) qui
lui ont valu un grand nombre de prix littéraires.
Écrivain du Liaoning
Son inspiration et son imaginaire dérivent pour
beaucoup de la région où il est né et a grandi : le
district de Tiexi (铁西区)
où se trouvait autrefois tout un complexe
d’industries lourdes. Dans le cadre de la politique
de réforme, dans les années 1980 mais surtout 1990,
ces usines obsolètes ont fermé l’une après l’autre
en laissant une zone sinistrée et sa population au
chômage, sans |
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Shuang Xuetao |
indemnités ni protection sociale, mais avec tous les maux
qui accompagnent le chômage : alcoolisme, violence,
divorces, suicides.
C’est là
que
Wang Bing
(王兵)
a tourné son documentaire « A
l’ouest des rails » (《铁西区》)
qui est la traduction littérale du nom du quartier et du titre
chinois du film. C’est cette atmosphère qui a inspiré des films
comme « The
Piano in a Factory » (《钢的琴》)
de
Zhang Meng
(张猛)
en 2010 ou « Une
pluie sans fin » (《暴雪将至》)
ou « The Looming Storm » de
Dong Yue (董越)
en 2017.
C’est là
aussi que se passent la plupart des histoires de Shuang Xuetao,
dans ce quartier de ruines industrielles peuplées de personnages
fantomatiques qu’il dépeint dans leur lutte pour survivre et
empêcher d’être réduits à néant et éliminés à leur tour. Il y a
quelque chose d’incertain et d’irréel, un peu inquiétant aussi
dans ce qu’il écrit, en phase avec le paysage urbain.
En 2007,
il termine des études de droit à l’université du Jilin (吉林大学法学院),
puis, en 2010, il commence à écrire.
Un
roman puis des nouvelles
Une
histoire de fantômes au pays des neiges
C’est en 2011 qu’il publie son premier roman
intitulé
« Fantômes ailés » (《翅鬼》)
qui a été lauréat du 1er prix lors de la
14ème édition des Taipei Literature
Awards (台北文学奖).
C’est un récit qui ressort du genre du zhiguai
(志怪)
et des contes fantastiques de la littérature
classique chinoise, mais où l’on perçoit en
filigrane comme une allégorie de l’atmosphère glacée
du Liaoning.
Dans un « pays des neiges » (雪国)
isolé du reste du monde car entouré de mers sur
trois côtés, un pays glacial où le sol est gelé
toute l’année, les bébés ailés (带翅的婴孩)
sont considérés comme les descendants du « démon de
la vallée » (谷妖的后代)
qui garde une sorte d’entrée des enfers ; quand ils
atteignent l’âge adulte, ils sont envoyés travailler
sous terre et y restent toute leur vie. Ce sont les
« fantômes ailés ». Mais l’un d’eux réussit à
prendre conscience que les « fantômes » comme lui
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Fantômes ailés 《翅鬼》éd. 2012 |
sont
manipulés et exploités. Il cherche alors à entraîner ses
camarades vers le pays de leurs rêves. Encore faut-il le
trouver…
C’est une
œuvre de jeunesse qui manque encore de maturité. Ses
publications suivantes sont des nouvelles dont il publie toute
une série dans des revues littéraires à partir de juin 2013.
Écriture créative et nouvelles
En 2015,
il suit un cours d’écriture créative à l’université du peuple (Renmin
daxue
人民大学).
Aussitôt après, il commence à publier en épisodes
séparés dans les numéros 2 à 5 de la revue Yalou (《鸭绿江》)
les premiers chapitres d’un roman intitulé
« L’Époque des sourds-muets » (《》),
époque qui est celle de son enfance dans le Liaoning
– la revue est elle-même une publication de la
branche du Liaoning de l’Association des écrivains.
En juin 2016, il publie un premier recueil de dix
nouvelles courtes et moyennes intitulé « Moïse
dans la plaine » (《平原上的摩西》).
La novella qui donne son titre au recueil
relate l’histoire d’un détective qui reprend une
enquête sur une vieille affaire de meurtre d’un
chauffeur de taxi qui a eu lieu douze ans
auparavant. Il a grandi dans le quartier où le
meurtre a eu lieu et il note des coïncidences ;
l’une de ses camarades de classe semble impliquée
dans cette histoire. Finalement, il a l’impression
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Moïse dans la plaine 《平原上的摩西》éd. 2016 |
L’Aviateur 《飞行家》 |
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qu’il pourrait lui-même y être impliqué. En octobre
2017, le récit est primé lors de la 17e
édition du prix littéraire des Cent Fleurs.
En août 2017, Shuang Xuetao publie un autre recueil
intitulé « L’Aviateur » (《飞行家》),
la nouvelle-titre étant indirectement inspirée de la
passion qu’avait son père pour tout ce qui vole.
En mai 2018, il décroche le prix Weng Zengqi de la
nouvelle lors de la première édition de ce prix (汪曾祺华语短篇小说奖)
pour sa nouvelle publiée l’année précédente : « Le
Nord parti en fumée » (《北方化为乌有》).
Les nouvelles et novellas primées lors de cette
édition sont publiées la même année dans un recueil
intitulé « Tout dans le monde est paisible » (《天下太平》),
où figurent des textes de Mo Yan (言著),
Wang Anyi (王安忆),
Zhang Yueran (张悦然),
etc.
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En juillet 2019, Shuang Xuetao poursuit avec un
recueil de onze nouvelles, « Le Chasseur » (《猎人》),
qui comporte deux récits situés à l’époque de la
République, cinq « sur les villes du nord », et
quatre sur la vie à Pékin aujourd’hui, soit une
période d’un peu plus d’un siècle. En octobre 2020,
le recueil vaut à son auteur le prix littéraire
Blancpain-Imaginist (宝珀理想国文学奖)
lors de la première édition de ce prix
.
Détour par le cinéma
Fin 2019, Shuang Xuetao participe en tant que
directeur artistique (艺术总监).
au film
« Fire
on the Plain » (《平原上的火焰》)
adapté de sa nouvelle sans doute la plus connue,
« Moïse dans la plaine ». Le film est réalisé par
Zhang Ji (张骥)
et les rôles principaux sont interprétés par des
stars de l’écran, Liu Haoran (刘昊然)
et l’actrice Zhou Dongyu (周冬雨).
Il doit sortir en Chine le 24 décembre |
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Le Chasseur 《猎人》 |
2021,
mais il était en sélection officielle au festival de San
Sebastian en septembre.
A Writer’s Odyssey |
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Une autre de ses nouvelles, « Assassinat d’un
romancier » (《刺杀小说家》),
publiée dans un recueil en 2017, a été adaptée au
cinéma, par le réalisateur
Lu Yang (路阳).
Le film est sorti sous le titre « A Writer’s
Odyssey » (《刺杀小说家》)
le 12 février 2021, pour la Fête du Printemps. C’est
une histoire très complexe qui mêle deux fils
narratifs de styles totalement différents, aventure
et fantasy. Un père à la recherche de sa fille qui a
été enlevée par des trafiquants est contacté par une
société qui dit l’avoir retrouvée mais demande au
père, en échange de sa fille, de tuer un écrivain en
train d’écrire un roman qui semble influer sur la
réalité…
Les effets spéciaux du film ont été réalisés par
l’équipe qui a signé ceux de « The Wandering Earth »
(《流浪地球》)
adapté de la nouvelle de
Liu Cixin (刘慈欣).
On retrouve ainsi Shuang Xuetao à l’avant-garde des
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développements de la science-fiction chinoise au cinéma.
Mémoire nostalgique du Nord-Est
Fin
d’une époque
En mai 2020, il publie la version complète du roman
« L’Époque des sourds-muets » (《》)
qui apparaît rétrospectivement comme l’expression
d’une nostalgie non plus, comme souvent, d’un passé
rural idéalisé, mais d’un passé urbain encore récent
puisqu’il s’agit du Nord-Est des années 1980-1990.
Il décrit non plus la résistance à l’urbanisation,
mais la violence née de la décadence urbaine,
l’agonie d’une région liée à la fin programmée d’une
ère industrielle, et le désir d’en préserver la
mémoire dans les trous de l’histoire officielle
.
On retrouve des nouvelles de Shuang Xuetao aux côtés
de récits des meilleurs écrivains dans les
anthologies sur le thème de la mémoire urbaine, par
exemple celle parue en avril 2018 aux éditions
Chunfeng Art and Literature (春风文艺出版社)
sur le thème plus spécifique de la famille dans
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L’Époque des sourds-muets 《聋哑时代》 |
la
ville : « Les mille lumières de la ville » (《万家灯火》)
qui regroupe des textes de
Lao She, Zhu Ziqing,
Yu
Dafu,
Jia Pingwa,
Feng Jicai, etc. (老舍、朱自清、郁达夫、贾平凹、冯骥才、…).
C’est un thème devenu à la mode.
Les mille lumières de la ville 《万家灯火》 |
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La fin de la prospérité industrielle du Nord-Est,
c’est aussi la fin de la génération paternelle et la
mort du père dont Shuang Xuetao a célébré la mémoire
dans nombre de ses nouvelles. Dans « Le Maître »
(《大师》),
par exemple, il évoque l’image de son père comme
joueur invétéré d’échecs, un « maître des échecs »
qui rappelle le personnage du zhongpian de la
« trilogie
des rois »
d’A
Cheng (阿城).
Mais le père de Shuang Xuetao est loin d’avoir le
formidable génie du roi des échecs d’A Cheng ; il
est dépeint comme un raté, ancien magasinier
tellement obsédé par sa passion des échecs que même
sa femme finit par quitter. Shuang Xuetao en fait
finalement comme une allégorie de la région.
Ce père est omniprésent dans le souvenir de
l’écrivain. C’est, autre exemple, sa passion pour le
ciel et tout ce qu’on y voit voler qui a inspiré la
nouvelle « L’Aviateur » (《飞行家》),
initialement parue dans le numéro de |
janvier 2017 de la revue Tianya (《天涯》).
Le Li Mingqi (李明奇)
de la nouvelle est un ouvrier qui fabrique des parachutes,
mais qui rêve de construire un avion. Le récit a la qualité
d’un rêve empreint de poésie, comme dans un conte, et se
termine alors qu’un immense ballon emporte Li Mingqi dans un
ciel nocturne. C’est un autre aspect du caractère irréaliste
du père, perdu dans ses rêves, d’une illusion à l’autre,
sans doute une manière comme une autre d’arriver à vivre
dans le contexte de la ruine des industries qui avaient fait
la gloire du Dongbei : en laissant son imagination prendre
son envol…
Style
d’une froide et austère poésie
Le style
de Shuang Xuetao est à l’image de la neige qui abonde dans son
œuvre et qu’il célèbre déjà dans le choix de son prénom (xuětāo
grande vague de neige). La neige se présente sous différentes
formes symboliques. Par exemple, dans la nouvelle « La Chapelle
de la clarté radieuse » (Guangming táng《光明堂》)
initialement publiée dans le 3ème numéro de 2016 de
la revue Jiangnan (《江南》),
la première neige, poudreuse, signale le départ du père, puis la
neige tombe dru et se mêle au sang pour refléter le destin du
personnage principal, le père Lin (林牧师)
qui meurt poignardé. Les chutes de neige rythment la narration.
Dans les récits
Shuang
Xuetao, la neige crée l’atmosphère, comme dans le film précité
de Dong Yue.
Mais la neige bloque aussi toute échappatoire. S’il en est une,
c’est dans les eaux des lacs, comme dans « Moïse dans la
plaine ». Dans ce zhongpian, c’est un lac qui est le
point de rencontre initial des deux personnages Zhuang Dezeng (庄德增)
et Fu Dongxin (傅东心),
et c’est sur le lac (artificiel) du Parc Beiling (北陵公园)
que se termine l’histoire d’amour complexe de Zhuang Shu (庄树)
et Li Fei (李斐),
dans un retour subtil au lac du début, où s’est noyé le fou Liao
Chenghu (廖澄湖).
C’est au fond du lac que semble résider le mystère de l’histoire
qui baigne dans une atmosphère de conte fantastique.
Au-delà de ces images, le style de
Shuang
Xuetao est d’une poésie froide, presque laconique, mais toujours
empreint d’une touche de mystère qui fait affleurer les ombres
d’un monde irréel sous la surface des eaux du réel.
Indissociable de son art narratif, il a été loué comme mariant
l’influence du roman occidental et celle de la littérature
d’avant-garde chinoise. C’est un style fondé sur la brièveté qui
s’épanouit dans le genre de la nouvelle, voire de la
micronouvelle.
Shuang Xuetao a été loué par Mo Yan, Yan Lianke, Su Tong, Yu Hua
et autres. On est déjà en train de lui fabriquer une légende
dorée de mauvais élève passant l’heure de midi en bibliothèque
et découvrant les monstres sacrés de la littérature chinoise, de
collégien fasciné par Wang Xiaobo et finalement devenu écrivain
avec son propre Gaomi (高密)
de légende :
la rue Yanfen dans le district de Tiexi (铁西区艳粉街),
dans les neiges du Dongbei
.
Principales publications
Recueils de nouvelles et novellas
(outre
celles publiées individuellement dans des revues)
2016
Moïse dans la Plaine
《平原上的摩西》
2017
L’Aviateur《飞行家》
2019
Le Chasseur
《猎人》
Romans
2011
Fantômes ailés 《翅鬼》
2020
L’Époque des sourds-muets
《》
Traductions en anglais
- Sept
courts récits réunis sous le titre « L’oiseau blanc » (《白鸟》),
initialement publiés dans le numéro de mars 2017 de la revue
Shouhuo (《收获》).
Trad. Kevin Wang « White Bird » publiée en ligne par Asymptote.
https://www.asymptotejournal.com/special-feature/shuang-xuetao-white-bird/
Texte
original :
https://www.asymptotejournal.com/special-feature/shuang-xuetao-white-bird/
chinese-simplified/
- Rouge
Street: three novellas trad. par Jeremy Tiang,
Metropolitan Books, avril 2022, 240 p.
The
Aeronaut
《飞行家》/
Bright Hall
《光明堂》/
Moses on the Plain
《平原上的摩西》
Le titre
du recueil est une référence à la fameuse rue Yanfen.
À lire en complément
Shadows and Voices : Shuang Xuetao’s Fiction of Northeast China,
by Qi Wang
https://u.osu.edu/mclc/2020/09/05/shuang-xuetaos-fiction-of-northeast-china/
中篇小说获奖作品王安忆著《向西,向西,向南》、张悦然著《大桥小乔》;短篇小说获奖作品莫言著《天下太平》、樊健军著《穿白衬衫的抹香鲸》、双雪涛著《北方化为乌有》,以及微小说作家奖获奖人蔡中锋著《你的麦子不能割》。
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