Ning Ken
宁肯
Présentation
par
Brigitte Duzan, 3 novembre 2024
|
Ning
Ken |
|
Écrivain
né en 1959 à Pékin, Ning Ken est vice-président de
l’Association des écrivains de Pékin, professeur à
l’Université des langues étrangères de Pékin et rédacteur en
chef adjoint de la revue Octobre (《十月》).
Lauréat des prix littéraires Lao She, Shi Nai'an, Lu Xun et
autres, il est reconnu en Chine pour son écriture novatrice.
Comme
beaucoup d’écrivains chinois, il a d’abord écrit des poèmes,
à partir de 1982, puis quelques novellas, et ce n’est qu’en
1998 qu’il s’est enfin tourné vers l’écriture de romans.
Trilogie de la cruauté
Il a
publié une « trilogie de la cruauté » (“残酷三部曲”),
cruauté qui apparaît comme emblématique d’un paysage désolé
et morbide sous la surface brillante de la prospérité
matérielle. Les deux premiers volets sont « La ville
masquée » (《蒙面之城》)
publié en 2001, mais sérialisé d’abord sur sina.com en
septembre 2000
,
et « La porte silencieuse » (《沉默之门》)
paru en 2004. « La ville masquée » a été un bestseller en
2001 et lauréat du prix Lao She (“老舍文学奖”).
|
La ville masquée |
|
Le
troisième volet, « La femme en rond » (《环形女人》),
a été publié en 2006. C’est une sorte de Barbe bleue au
féminin : le sous-sol d’un manoir tel celui de Frankenstein
recèle un « hall d’exposition vivant » où la propriétaire
détient ses trois amants passés, comme des curiosités d’un
muséum d’histoire naturelle. Un détective, le narrateur,
accepte d’écrire la biographie de cette femme. Le roman est
un mélange d’absurde kafkaïen, de suspense à la Hitchcock et
de fable gothique, tout en relevant aussi de la tradition du
fantastique chinois, et des
contes de Pu Songling
en particulier. On peut le considérer comme un exercice
d’écriture, l’auteur lui-même se prêtant au jeu de décodage
des différentes strates du récit, en entretenant l’aura de
mystère, à commencer par le titre.
Ning Ken a
vécu plusieurs années au Tibet (de 1984 à 1986) et c’est de
cette expérience qu’est né son roman « Tibet céleste » (Tian.Zang
《天·藏》)
publié en 2009 – dont le titre pourrait aussi se traduire
par « Funérailles célestes ». Mais ce qui l’a rendu célèbre
ces dernières années, c’est le nouveau concept
d’ « ultra-surréel » dont il a forgé le néologisme en 2015.
Ultra-surréel
Il en a
lancé l’idée lors d’une conférence qu’il a donnée aux
États-Unis, au Middlebury College, le 26 octobre 2015 : « Writing
in the Age of the Ultra-Unreal ». Cet
« ultra-surréel » ou “chāohuàn” (超幻)
est ce qui caractérise selon lui aujourd’hui la réalité
chinoise ; il devient banal dans ces conditions de dire que
la réalité dépasse la fiction, mais il s’agit d’y adapter
son écriture. La campagne anti-corruption en donne des
exemples tous les jours, de même que les scandales de
nourritures frelatées. Surtout, la croissance chinoise est
tellement rapide qu’elle en devient elle aussi surréaliste.
On a toujours l’impression d’être au bord du gouffre, ou du
chaos
.
“Chāohuàn”
est proche du réalisme magique (“móhuàn xiànshí zhǔyì”
魔幻现实主义)
que la Chine s’est approprié dans les années 1990 quand elle
l’a découvert. Mais il le dépasse largement, selon Ning
Ken : d’une part, parce que le contexte historique n’est pas
le même, car en Chine on est dans le contexte d’un pouvoir
total de surveillance et de contrôle social ; d’autre part
parce que le rythme du changement n’est pas le même non plus
si bien que la campagne s’est rapidement désertifiée et que
les villages ont l’air de villes fantômes ; et enfin à cause
de l’importance démesurée prise par internet, qui fait que
la réalité s’inscrit immédiatement en texte. C’est le plus
grand défi lancé à l’écrivain qui doit inventer une nouvelle
écriture qui puisse rendre cet « ultra-surréel ».
C’est ce
que Ning Ken a tenté de faire dans son roman de 2015,
justement : « Trois trios » (Sānge sānchóng zòu 《三个三重奏》).
La structure narrative est triple :
- le
premier niveau est celui du narrateur, qui ne rêve que
de bibliothèques, et vit au milieu de ses bouquins,
réfléchis dans des miroirs pour donner une impression
d’infini. Mais par ailleurs, il se porte volontaire pour
assister des condamnés à mort en prison, la prison devenant
une autre bibliothèque.
- le
deuxième niveau narratif est celui de l’un des condamnés
à mort, l’ex-PDG d’une grande entreprise d’État. Quand il a
appris qu’il allait être arrêté pour corruption, il s’est
enfui, mais la femme chez laquelle il s’est réfugié l’a
dénoncé.
- le
troisième niveau est celui de l’autre condamné à mort,
ex-secrétaire particulier d’un gouverneur de province. Il
doit être soumis à ce qu’on appelle « double assignation » (shuāngguī
双规) :
une forme de détention pour interrogatoire, extra-judiciaire
et opaque, qui se passe en secret, dans un lieu lambda,
chambre d’hôtel ou autre. Mais ici il s’agit d’une usine
abandonnée, bâtie en son temps dans le style Bauhaus par un
architecte d’Allemagne de l’Est, et transformée en complexe
artistique hyper moderne.
|
Trois trios |
|
L’histoire
est évidemment pleine d’humour, corsé encore lorsqu’on
apprend que l’interrogateur souffre d’un cancer terminal, et
qu’il se prépare en fait à entrer en méditation pour
atteindre l’éveil au moment d’être incinéré. Mais le roman
est remarquable aussi par la forme originale adoptée :
l’auteur a joué sur les notes en bas de page en les
développant parfois sur plusieurs pages, si bien qu’elles
finissent par constituer une narration secondaire, en
caractères plus petits, correspondant à un temps narratif
différent.
Aujourd’hui, affirme Ning Ken, seule la littérature peut
rendre compte de cette « ultra-surréalité » propre à la
Chine et peut ainsi aider à comprendre ce qu’est le pays, et
où il va.
Principales publications
Romans
2001 La
ville masquée
《蒙面之城》
2004 La
porte silencieuse
《沉默之门》
2006 La
femme en rond《环形女人》
2009 Tibet
céleste Tian.Zang
《天·藏》
2015 Trois
trios Sānge sānchóng zòu 《三个三重奏》
Nouvelles
2019 Le
train《火车》
(en
8e position dans l’anthologie des meilleures
nouvelles Shouhuo de 2019)
Essais
2013 Mon
20e siècle
《我的二十世纪》
2017
Pékin, la ville et les années
《北京:城与年》
Prix Lu
Xun 2018.
2018 Notes
diverses sur le village de Zhongguan
《中关村笔记》
|
Notes diverses sur le
village de Zhongguan |
|
Traductions en anglais
Zhong Guan
Village: Tales from the Heart of China's Silicon Valley, ACA
Publishing, 2022