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Mang Ke 芒克

Présentation

par Brigitte Duzan, 17 novembre 2023

 

 

Mang Ke (photo sina)

 

 

À la fin des années 1970, Mang Ke (芒克) a été, avec Bei Dao (北岛), l’un des fondateurs du mouvement de poésie dite « obscure » (menglongshi 朦胧诗). Il lui faudra attendre 1987 pour voir la publication d’un recueil de poésie qui lui soit entièrement consacré : c’était une poésie qui dérangeait, car elle allait à la reconquête de la parole individuelle contre l’expression sclérosée de la poésie maoïste.

 

 

Avec Bei Dao en 2018

 

 

De Pékin à Baiyangdian et retour

 

De son vrai nom Jiang Shiwei (姜世伟), Mang Ke est né en 1951 à Shenyang (沈阳), dans le Liaoning, mais ses parents ont déménagé à Pékin en 1956, c’est donc là qu’il a grandi.

 

Jeunesse dorée jusqu’à la Révolution culturelle

 

Il a raconté qu’ils vivaient dans des conditions assez luxueuses pour l’époque, car son père travaillait pour un organisme d’Etat, la Commission nationale de planification (国家计委工作) : ils avaient le chauffage, l’eau courante et des toilettes. Il n’est allé à l’école qu’à 7 ans, dans le même bloc de bâtiments, avec tous les enfants qui y habitaient. Il a un souvenir de liberté [1]. En même temps c’était une école célèbre, l’école n°3 de Pékin, dans le quartier de Xicheng. D’après la légende, le bâtiment avait été sous les Ming la résidence du général Zu Dashou (将军祖大寿) ; la plupart des enfants étaient de vieilles familles pékinoises, beaucoup d’origine mandchoue, et d’autres descendants de bureaucrates et de capitalistes de la République.

 

Son professeur de russe le recommande pour entrer à la Ligue de la jeunesse communiste. Mais, en 1966, les écoles ferment, les Gardes rouges font des descentes dans ces familles de riches propriétaires, capitalistes et éléments des cinq catégories noires, son professeur disparaît. Un de ses camarades devient le chef d’une faction de Gardes rouges ; il accuse son père d’avoir des « problèmes historiques » et lui d’être « de la graine de révisionniste » (修正主义苗子). En septembre, le futur Mang Ke profite du grand mouvement de liaison et d’échange révolutionnaire pour parcourir le pays avec les milliers de jeunes poussés sur les routes par Mao.

 

Sept ans à Baiyangdian

 

En 1968, son père est envoyé à une « école de cadres du 7 mai » tandis que sa mère travaille à l’hôpital et s’occupe des enfants. À la fin de l’année, son camarade de classe Li Shizheng (栗世征), le futur poète Duo Duo (多多), vient le voir pour lui demander de partir avec lui et deux autres camarades à Baiyangdian (白洋淀), dans le Hebei. Ils partent en janvier 1969.

 

Mang Ke y est resté sept ans ; de toute la bande, c’est lui qui y est resté le plus longtemps. Mais, comme il l’a expliqué (voir note 1), Pékin n’étant qu’à une centaine de kilomètres, il quittait le village tous les deux ou trois mois et rentrait à Pékin, chez lui ou chez des amis dont les parents étaient absents, en écoles de cadres ou morts. Ils écrivaient de la poésie, jouaient de la musique, faisaient de la peinture. À Baiyangdian, il ne travaillait pas beaucoup dans les champs ; c’est une région lacustre et marécageuse, l’activité principale des villageois était la pêche. L’activité la plus dure était la réparation et la consolidation des digues. Mais il ne savait pas faire grand-chose et était toujours celui qui gagnait le moins de points-travail.

 

Ils étaient huit « jeunes instruits » dans le village, dont trois anciens camarades de classe de Mang Ke : outre Duo Duo, Yue Zhong (岳重) ou Genzi (根子), et Lu Zhongnan (卢中南). Yue Zhong a été le premier à partir : il était chanteur et l’orchestre national l’a recruté. Lu Zhongnan s’est enrôlé dans l’armée et Duo Duo a attrapé une hépatite et il est rentré chez lui se soigner. Mais Mang Ke est resté parce qu’il ne pouvait pas partir : son père était encore en école de cadre, les problèmes familiaux n’étaient pas résolus, et son hukou était enregistré dans le village. La dernière année il y a enseigné.

 

Et soudain, en janvier 1976, le secrétaire du village lui annonça qu’il pouvait rentrer à Pékin : son hukou y avait été transféré à nouveau grâce à une amie. De retour à Pékin, il est affecté à une papèterie.

 

Naissance d’un poète

 

Il a senti naître en lui l’amour de la lecture en 1970. Et ce sont les pages de poésie qui l’ont attiré et touché plus que les romans et nouvelles. Les sept ans à Baiyangdian auront été ses années de formation à la littérature moderne et à la poésie. Avec ses camarades, il a lu « Sur la route » de Jack Kerouac et « The Catcher in the Rye » de Salinger, les poèmes des Russes Yevtushenko, Voznesenski et Akhmadulina, ceux de Pouchkine et de Maïakovski, Baudelaire, Whitman, Tagore, etc. La liste semble infinie, et tout cela traduit en chinois [2].

 

Son désir d’écrire de la poésie lui est venu d’abord des poèmes chinois des Tang et des Song mais, à partir du début des années 1970, il a écrit dans la langue qui lui était familière, celle de tous les jours. Ses premiers poèmes datent de 1971 ; il les a montrés à son ami Yue Zhong, qui lui a répondu qu’il avait un talent de poète et l’a encouragé à continuer. À partir de 1973, il a écrit en compétition avec Duo Duo. C’est ce qui peut être considéré comme l’âge d’or de sa poésie.

 

Quand il a quitté Baiyangdian, cependant, Mang Ke a brûlé tous ces poèmes. Il ne pouvait pas les emporter dans la maison de ses parents. Cela aurait pu leur attirer des ennuis. Fort heureusement, ses amis en ont sauvé quelques-uns qui ont ensuite été préservés au Japon. Ils ont refait surface en 2008, pour la célébration du 30ème anniversaire de Jintian.  Quand il a revu son cahier d’exercices et son poème Huijia (《回家》), Mang Ke a dit qu’il l’avait complètement oublié ; ravi, il l’a posté sur weibo pour le partager [3].

 

 

« Cahier d’exercices » de 1973
avec le poème « Retour à la maison » (Huijia 《回家》)

 

 

 

Manuscrit de la main de Mang Ke relié dans une couverture rouge
pour le 23e anniversaire de son ami Yan Li (严力), le 28 août 1976

 

 

De Jintian au Club des survivants

 

Fin 1978, avec Bei Dao (北岛), Mang Ke fonde le journal Jintian (今天), l’idée étant de publier des œuvres que personne d’autre n’osait publier pour les sortir de la clandestinité. L’idée avait germé au début de l’automne 1978, alors que Bei Dao et Mang Ke se trouvaient réunis avec des amis dans la maison de l’un d’eux, Huang Rui (黄锐). Ils sont passés directement des poèmes manuscrits aux poèmes polycopiés. Le 23 décembre 1978, le premier numéro a été ronéotypé sur une vieille machine dans une ferme près de la rivière Liangma (亮马河). Le papier était du papier récupéré par Mang Ke dans sa papèterie et par Huang Rui dans le département de publicité de son usine, si bien que les différentes pages n’avaient pas la même couleur [4].

 

 

Les membres du groupe fondateur de Jintian (sept. 1978)

Avec Mang Ke et Bei Dao assis au centre au 1er rang.

 

  

Le journal est affiché sur le Mur de la démocratie. Il sera interdit en septembre 1980, après neuf numéros. Mais il aura causé des tensions avec les parents de Mang Ke : Jintian lui a fait perdre à son travail à la papèterie et il n’a pas cherché à en trouver un autre ; en outre, pendant tout le temps où il en a assumé la rédaction, il n’est pas rentré chez lui, de peur d’attirer des ennuis à ses parents, ou de se fâcher avec eux. Après son retour à Pékin en 1976, son père a repris son travail à la Commission nationale de la planification devenue ensuite Commission nationale de réforme et de développement (国家发改委), où il a travaillé jusqu’à tomber malade ; hospitalisé, il est décédé en 1991.

 

Quand Jintian a été relancé à l’étranger, en 1990, Mang Ke n’y a pas participé. Par la suite, il a écrit un livre autobiographique racontant l’histoire du journal, intitulé « Le passé et Jintian » (事与< 今天>).

 

Au début de 1988, il a ensuite organisé le « Club des poètes survivants » (幸存者诗人俱乐部) avec Yang Lian (杨炼) et Tang Xiaodu (唐晓渡). Tous trois vivaient alors dans le quartier de Chaoyang et ils se voyaient souvent. Le club a compté une trentaine de membres et a publié trois numéros de la revue créée en même temps (《幸存者诗刊》). Puis il s’est sabordé de lui-même, et quand la revue a été relancée, en 2017, c’est à la seule initiative de Yang Lian et Tang Xiaodu, Mang Ke était passé à autre chose.

 

De la poésie à la peinture

 

En 2004, en effet, sur la suggestion d’un ami qui lui a acheté de la peinture et des toiles, il s’est mis à peindre, pour gagner sa vie et nourrir sa femme et ses enfants. La poésie ne suffisait pas à nourrir une famille ; il avait tenté d’écrire un roman, « Sauvageries » (《野事》), l’histoire d’un jeune instruit et de ses amours, mais il a été interdit dès sa publication, en mars 1994.

 

 

Ye Shi, éd. 1994

 

 

Au bout de seulement trois mois, il a organisé sa première exposition ; en fait, a-t-il dit en riant, c’étaient juste quelques toiles accrochées dans un café, et l’expo a pris fin une fois les peintures vendues. Ai Weiwei (艾未未) en a acheté une intitulée « Sommeil » (《睡》).

 

 

Poèmes choisis, 2015

 

 

 

Poids. Poèmes de la période 1971-2010 (éd. 2017)

 

 

 

October Dedications

 

 

Ses peintures sont en fait des visions poétiques, le pendant visuel de ses poèmes ; comme eux non bridées par l’apprentissage de techniques, elles reposent essentiellement sur la couleur, des couleurs brutes, non diluées, appliquées au couteau plutôt qu’au pinceau. Contrairement à sa poésie, sa peinture est rapide, mais provenant des mêmes éclairs d’inspiration. L’une et l’autre sont la même poursuite de la liberté.

 

 

Une peinture

 

 


 

Publications

 

Recueils de poèmes

1978 : Les choses du cœur 《心事》

1988 : Tournesols dans l’éclat du soleil 《阳光中的向日葵》

1989 : Poèmes choisis de Mang Ke 《芒克诗选》

2001 : Aujourd’hui, c’est quel jour ?《今天是哪一天》

2009 : Poèmes de Mang Ke《芒克的诗》

2015 : Poèmes choisis de Mang Ke 《芒克诗

2017 : Poids. Poèmes de la période 1971-2010 《重量:芒克集1971——2010

2023 :  Poèmes de Mang Ke (collection de poésie Blue Star des éditions du Peuple)

      《芒克的诗》(蓝星诗库 典藏版)

 

Recueil d’essais

 

2003 : Regardez ! Tous ces gens  《瞧!这些人》

(souvenirs des écrivains, poètes, peintres, critiques, cinéastes etc rencontrés au cours des vingt années passées)

2018 : Le passé et Jintian  《往事與《今天》 [publié à Taiwan]

(souvenirs de la fondation de Jintian et de la vie du journal, avec des photos inédites)

 

Roman

1994 : Sauvageries  Ye Shi《野事》

 


 

Traductions en français

 

Poèmes en ligne (Le bar à poèmes)

trad. Chantal Chen-Andro,

 

Extraits de "Le Ciel en fuite. Anthologie de la nouvelle poésie chinoise", éd. Circé, 2004

- Vent à fleur d’eau http://www.barapoemes.net/archives/2017/02/20/34958783.html

- Crépuscule http://www.barapoemes.net/archives/2018/02/20/36158213.html

- Terre gelée (1973) http://www.barapoemes.net/archives/2019/02/20/37114773.html

- Sur la neige bleue http://www.barapoemes.net/archives/2020/02/20/38039572.html

- Le doux rêve est repos éternel http://www.barapoemes.net/archives/2021/02/19/38825841.html

 

Extrait de « Anthologie de la poésie chinoise », Gallimard/ La Pléiade, 2015

- Poème de l’offrande à l’automne http://www.barapoemes.net/archives/2016/02/20/33398705.html

 

Recueil

 - Le temps sans le temps, trad. et préfacé par Chantal Chen-Andro, éd. bilingue, Caractères, 2014.

 


 

Traductions en anglais

 

- October Dedications, tr. Lucas Klein, Huang Yibing and Jonathan Stalling, bilingual ed., Zephyr Press,

Extracts (1973-1983) with original Chinese :

https://www.asymptotejournal.com/poetry/mang-ke-october-dedications/

 


 

[1] Comme il l’a raconté dans une interview de 2021 pour le Chinese Pen : https://www.chinesepen.org/blog/archives/121660

[2] C’est ce que recommandait Ezra Pound à tout jeune garçon voulant devenir poète : lire autant de poèmes que possible avant l’âge de seize ans… et qui est noté dans l’introduction à son recueil de poèmes de 2009.

[3] Voir les souvenirs de ces poèmes des années 1970 sur le site de Jintian :

https://www.jintian.net/today/?action-viewnews-itemid-52645

[4] Histoire des débuts de Jintian : http://www.qvip.net/article-12253

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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