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Liu Wai-tong / Liao Weitang 廖伟棠

Présentation

par Brigitte Duzan, 9 décembre 2023

 

 

Liu Wai-tong (photo sinchew.com)

 

 

Poète, écrivain et photographe né en 1975 dans le Guangdong, Liu Wai-tong est arrivé à Hong Kong en 1997. Il est l’un des deux poètes au centre du documentaire de 2023 d’Ann Hui (许鞍华) « Elegies » (《詩). Mais il n’était plus à Hong Kong : il est parti vivre à Taiwan en 2019.

 

Poète engagé

 

Auteur d’une douzaine de recueils de poésies, il a également publié des essais et des recueils de photos, prises pendant les cinq ans qu’il a passés à Pékin avant de revenir à Hong Kong en 2005.

 

 

Pauvre Ange Ku Tianshi

 

 

Il a longtemps considéré Hong Kong comme un lieu plein d’énergie, propice à la créativité artistique, une ville dont il prisait la manière de se serrer les coudes et d’afficher sa solidarité dans les moments difficiles, la manière aussi – selon l’expression consacrée [1] – de « se lever pour mettre en pratique ce qu’on dit » (坐言起行), c’est-à-dire de défendre ses convictions et ses droits.

 

Il est célèbre pour ses poèmes engagés, écrits pour des manifestations spécifiques ou la commémoration d’événements sensibles.

 

Les poèmes de protestation et de commémoration

 

Il a ainsi écrit un poème devenu célèbre lors des protestations en 2006 contre la démolition de l’embarcadère Queen’s Pier, un bâtiment du vieux Hong Kong qui représentait la mémoire de l’ère coloniale : c’est là que tous les gouverneurs britanniques sont arrivés depuis 1925, là aussi que la reine Élizabeth II a débarqué en 1975 lors de sa première visite à Hong Kong, et le prince de Galles en 1989. L’annonce du projet de démolition en 2006 a provoqué un mouvement de protestation, pour lequel Liu Wai-tong a écrit un poème qu’il est allé dire sur le lieu des manifestations :

 

« La Ballade de Queen’s Pier » (皇后碼頭歌謠).

 

共你淒風苦雨            Ensemble nous affrontons vents glacés pluies amères
共你披星戴月           
Ensemble nous allons coiffés de lune drapés dans les étoiles. 
——周耀輝《皇后大盜》            ——
Chow Yiu-fai « Les larrons de la reine » [2] 

 

那夜我看見一垂釣者把一根白燭     Cette nuit j’ai vu un pêcheur jeter une chandelle blanche
放進碼頭前深水,給鬼魂們引路。  au fond de l’eau devant la jetée, pour guider les fantômes.

嗚嗚,我是一陣風,在此縈繞不肯去。
Wouh wouh, je suis une brise qui passe, et voudrais rester ici.

 

那夜我看見一弈棋者把棋盤填字,    Cette nuit j’ai vu un joueur d’échecs griffonner sur l’échiquier,  
似是九龍墨蹟家譜零碎然而字字天書。
Comme le calligraphe de Kowloon, des caractères indéchiffrables,
嗚嗚,我是一陣風,在此縈繞不肯去。
Wouh wouh, je suis une brise qui passe, et voudrais rester ici.

 

那夜我看見一舞者把一襲白裙     Cette nuit j’ai vu une danseuse en robe blanche se changer
舞成流雲,雲上有金猴怒目切齒。  en nuage, et au-dessus un singe d’or furieux grincer des dents

吁吁,我是一陣雨,在此淅瀝不肯去。
Flic floc, je suis une brève ondée,  et voudrais rester ici.

 

那夜我看見一喪妻者鼓盆而歌,    Cette nuit j’ai vu un homme endeuillé taper sur son bol et chanter [3]
歌聲清越仿如四十年前一少年無忌。
La voix claire et mélodieuse comme celle d’un jeune sans soucis.
吁吁,我是一陣雨,在此淅瀝不肯去。
Flic floc, je suis une brève ondée,  et voudrais rester ici.

 

「共你披星戴月……                     [Ensemble nous allons coiffés de lune drapés dans les étoiles ….]

今夜我在碼頭燒信,                          Ce soir je brûle des lettres sur la jetée ;
羣魔在都市的千座針尖上升騰,       Des hordes de démons s’élèvent du haut de milliers de bâtisses,

我共你煮雨焚風,喚一場熔爐中的飛霜。
Ensemble nous étuvons la pluie, calcinons le soleil.

咄咄,我是一個人,在此咬指、書空。  Pfff, je me mords les doigts, et dessine des mots en l’air.

 

 

Ballade à Hong Kong en compagnie de fantômes

 

 

La « Ballade du Queen’s Pier » a été sélectionnée et mise en spectacle à l’occasion des premières Nuits internationales de la poésie organisées à Hong Kong du 26 au 29 novembre 2009 par Bei Dao (北岛). Elle a ensuite été publiée dans l’anthologie regroupant les poèmes de ces Nuits : « The Other Voice : International Poetry Nights in Hong Kong » [4]

 

En outre, il a tous les ans écrit un poème pour l’anniversaire des événements 4 juin 1989 qui ont chaque année été commémorés à Hong Kong par des veillées, de nuit. L’un des plus célèbres de Liu Wai-tong est celui intitulé « Trente ans » (三十年), en 2019, qui commence ainsi :

經過三十年的念叨                              Trente ans de remémorations
死者終於全部南下這個城市。
    
       et les morts finalement sont tous venus dans cette ville, au sud.
經過三十年的改造
              
               Trente ans de réforme
事發地點也終於南下變成這個城市
Et finalement là où cela se passe, maintenant,

事发地点也终於南下变成这个城市    c’est dans cette ville, au sud.

Ce qui « se passe », ce sont les manifestations qui secouaient la ville « trente ans après ».

 

Poèmes engagés en 2014 …

 

Deux projets de loi ont en effet provoqué de gigantesques manifestations en 2014 et 2019-2020 car ils trahissaient la volonté du gouvernement de Pékin de rogner les libertés dont jouissait la ville selon les termes de la Rétrocession.

 

En 2014, le mouvement de désobéissance civile est provoqué par le projet de loi annoncé en août 2014 visant à modifier l’élection au suffrage universel du chef de l’exécutif. En décembre, Liu Wai-tong écrit un poème en hommage aux  grévistes de la faim de Harcourt Village » (ou Xiaque cun 夏悫村). Il écrit même un ouvrage qu’il intitule « Umtopia » (傘托邦) [5] en hommage à l’esprit utopique des manifestations. Au bout de près d’un an d’occupation des rues, le projet de loi est malgré tout finalement rejeté.

 

 

Umtopia, the Umbrella Movement

 

 

 

Un demi-carnet de propos de fantômes

 

 

… et en 2019

 

Les manifestations reprennent en 2019 pour tenter, cette fois, de bloquer un projet de loi encore plus fondamental, car il concernait les procédures d’extradition. Elles dureront bien plus longtemps, et de manière peu à peu plus virulente. Le ton des poèmes se fait aussi plus tranchant. Liu Wai-tong écrit deux poèmes à la mémoire de jeunes qui se sont suicidés, dont « Élégie pour une jeune de 15 ans » (15歲輓歌). Son poème « Que revienne la gloire de Hong Kong » (願榮光歸香港) est entonné pendant les manifestations.

 

 

Poèmes choisis 2017-2019

 

 

Il dit lors d’une interview qu’il a toujours admiré la manière dont les Hongkongais se jettent à corps perdu dans l’action, comment ils se projettent en avant (挺身而出) : ses poèmes sont sa manière à lui de se projeter dans l’action, d’exprimer dans l’urgence la tristesse qu’il ressent (其心苦,其詞迫).

 


 

Publications

 

Recueils de poésie

(Nuits éternelles) Yongye《永夜》, Gaoxiao Lianhe, Shanxi, 1995
(En tombant avec les poissons) Suizhe yumen xiachen
《隨著魚們下沈》, Hongye, Hong Kong, 1998
(Un coin dans le jardin, ou Un jardin dans le coin) Huayuan de jiaoluo, Huo jiaoluo de huayuan
《花園的角落,或角落的花園》, Dongan, Hong Kong, 1999
(Errance dans un accordéon)  Shoufengqin lide langyou
《手風琴裏的浪遊》, Suye, Hong Kong, 2001
(Chant de marche de Bohémien)  Boximiya xingluyao
《波希米亞行路謠》, Lianhe, Taipei, 2004
(Pauvre Ange) Ku Tianshi
《苦天使》, Aquarius, Taipei, 2005
(Voyager jeune) Shaonian you
《少年遊》, Tiandi, Sichuan, 2005
(Pluie noire annoncée) Heiyu jiangzhi
《黑雨將至》, Aquarius, Taipei, 2008
(Ballade à Hong Kong en compagnie de fantômes) He youling yiqi de Xianggang manyou 
《和幽靈一起的香港漫遊》, Kubrick, Hong Kong, 2008
(Chant barbare de nuit) Yeman yege
《野蛮夜歌》, Jincheng, Beijing, 2011
(Sous deux mètres de neige) Bachi xueyi
《八尺雪意》, INK, Taipei, 2012

(Un demi-carnet de propos de fantômes) Banbu guiyu半簿鬼語, INK, 2015

(La coupe du printemps) Chun zhan春盞, Sichuan Wenyi chubanshe, 2016

Cherry et King Kong, sélection de poèmes 2013-2016 櫻桃與金剛,  Oxford Press, 2017

Les lumières ne vont pas toutes se consumer: poèmes choisis 2017–2019

 一切閃耀都不會熄滅:廖偉棠2017–2019Xin jingdian wenhua chubanshe, 2020.

 

Recueil de nouvelles

(Jeux de guerre dans les 18 allées) Shiba tiao xiaoxiang de zhanzheng youxi (《十八條小巷的戰爭遊戲》), Aquarius, Taipei, 2004

 

Essais et photographies

2015 : Umtopia, Days and Nights of the Umbrella Movement of Hong Kong (傘托邦)

Essais littéraires 

Late at Night Reading a Fictional History of the Universe (深夜讀罷一本虛構的宇宙史)

Heterotopia Guide (異托邦指南)

 

Autres

https://www.poetryinternational.com/en/poets-poems/poets/poet/102-22908_Liu

 


 

Textes en ligne

https://weread.qq.com/web/search/books?author=%E5%BB%96%E4%BC%9F%E6%A3%A0&ii=

bc532980717268bcbc55e26

 


 

Traductions en anglais

 

- “Minibus 9, Aubade, Ballad of Queen’s Pier, Written in Fog, A Song of Departure for the Pearl River Delta, Summer 2012, Hong Kong Rain,” tr. Lucas Klein, Pathlight (Winter 2013): 185-90.

- Wandering Hong Kong with Spirits (《和幽靈一起的香港漫遊》), tr. Enoch Yee-lok Tam, Desmond Sham, Audrey Heijns, Chan Lai-kuen, and Cao Shuying, Brookline, MA: Zephyr Press and MCCM Creations, 2016.

 

 


[1] Tirée du chapitre du Xunzi sur « La nature mauvaise » (《荀子·性恶).

[2] Chow Yiu-fai est professeur de sciences humaines et écriture créative à l’Université baptiste de Hong Kong, mais il est célèbre pour ses chansons. Les deux lignes en exergue sont une référence à une chanson - Queen’s Road East (皇后大道东) – du chanteur-compositeur taiwanais Lo Ta-yu, sur des paroles du parolier hongkongais Albert Leung, sortie fin janvier 1991, qui exprimait l’angoisse ressentie à Hong Kong avant la Rétrocession annoncée pour 1997. La chanson a été interdite en 1991, et à nouveau en 2019.

[3] Référence à Zhuangzi pleurant son épouse décédée.

[4] Anthologie éditée par Bei Dao / Gilbert C.F. Fong / Shelby K.Y. Chan, The Chinese University of Hong Kong Press, Bilingual edition with DVD, Sept. 2009.

[5] Soit « Umbrellatopia », ou « L’utopie des parapluies ».

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

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