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Lin Zhao
林棹
Présentation
par Brigitte Duzan, 16 mars 2023
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Lin Zhao
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Née en 1984,
Lin Zhao (林棹)
appartient à la jeune génération d’écrivains chinois arrivés à
maturité au début des années 2020. Son premier roman, « L’eau
qui court »
(《流溪》),
faisait partie de la sélection finale du
prix
Blancpain-Imaginist (宝珀理想国文学奖) en
2020 ; le prix lui a été décerné en 2022 pour son deuxième
roman,
« La carte des marées » (《潮汐图》).
De la
nature à la littérature…
Née en mai
1984 à Shenzhen (深圳),
dans le Guangdong, Lin Zhao est diplômée de chinois. Elle s’est
intéressée très tôt à la littérature, et a, entre autres,
participé dans les années 2000 à un forum littéraire sur
internet intitulé « sickbaby » (“病孩子”)
– un
forum qui
existe toujours,
et se définit comme le forum de la « decay generation » (烂掉的一代),
celle qui fleurit dans l’ombre comme le proclame le titre
original : « Enfants malades de l’ombre », ou de l’underground
si l’on préfère (“暗地病孩子”).
L’adolescence est un monde étroit, dit-elle, la littérature
offre des ouvertures créatives, un supplément d’existence
.
Pourtant, elle
a délaissé la littérature pendant dix ans, travaillant un temps
dans le design de jeux-vidéos, mais surtout étudiant l’histoire
naturelle et les sciences sociales et se faisant horticultrice,
voire vendeuse de fleurs, à ses heures. C’est ce monde de la
nature que l’on retrouve dans ses récits, et tout
particulièrement dans ses deux premiers romans, une nature
imbibée d’eau et un monde de dialectes reflétant son Guangdong
natal.
Elle est
revenue vers la création littéraire dans les années 2010, et, à
partir de 2017, publie sur internet des textes écrits en dehors
de ses heures de travail, comme une sorte de réflexe
inconscient, dit-elle (像一种下意识行为).
Elle publie alors sous le pseudonyme Linjinlu (“林津鲈”),
la perche de Linjin, un poisson dans l’eau, avant de passer pour
ses publications papier à une autre image de l’eau, Lin Zhao (林棹),
une rame navigant dans la forêt.
2019 :
L’eau qui court
Initialement publié en 2019 dans la revue littéraire Shouhuo
(《收获》杂志),
son premier roman, « L’eau qui court » (Liúxī《流溪》),
décrit, de l’intérieur, l’histoire de Zhang Zao’er (张枣儿),
une jeune femme née dans un petit village qui tente de chercher
du réconfort au milieu des turbulences de son existence. C’est
un récit que Lin Zhao avait commencé à écrire dix ans auparavant
et qu’elle a retrouvé sur un vieux disque dur. Il frappe dès
l’abord par une écriture originale, résolument expérimentale.
C’est une narration introspective, comme un monologue intérieur
où les fleurs et les arbres sont des personnages, comme le
brouillard.
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« L’eau
qui court » Liúxī《流溪》 |
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Tout commence par un traumatisme, non celui de la naissance dont
Freud a dit qu’on mettait une vie à s’en remettre, pire que la
naissance :
对我来说,当爸爸妈妈决定把我从他们的双人床铲除、轰走,世界开裂了。那是世界第一次开裂。我是被吸尘器吸走的节肢动物
[…]。我自己的房间闹鬼我悬浮在单人床上,不断涌出来的鬼一下子就淹没了我。我的房间、爸爸妈妈的房间、整个家,在午夜过后都可能闹鬼。
Pour ma
part, quand mes parents ont décidé de me chasser de leur lit
double, j’en suis partie à grand fracas, le monde s’était ouvert
sous mes pieds. C’était sa première faille. J’étais comme un
arthropode avalé par un aspirateur […]. Ma chambre était hantée,
je planais, en lévitation sur le lit simple, menacée à chaque
instant d’être engloutie par les fantômes qui ne cessaient
d’apparaître. La chambre de mes parents, la mienne, toute la
maison pouvaient être envahies par les fantômes une fois minuit
passé.
(extrait du
premier chapitre : La boîte à chaussure
鞋盒)
On a dépeint
le style du roman comme une sorte de collage postmoderne à base
d’images, mais, selon l’auteure, c’est un style dicté plus ou
moins inconsciemment par la personnalité de la narratrice
,
dont on ne sait trop si elle est innocente, folle ou
affabulatrice, mais probablement les trois à la fois.
On retrouve un
travail d’écriture tout aussi original dans le deuxième roman de
Lin Zhao, commencé aussitôt après le premier, mais achevé et
publié deux ans plus tard.
2022 :
La carte des marées
Paru en
janvier 2022, « La carte des marées » (Cháoxī
tú
《潮汐图》)
reconstruit un espace spatio-temporel calqué sur la nature
exubérante du delta de la Rivière des Perles, avec un sens de
l’espace emprunté à la définition donnée par le géographe
sino-américain
Yi-fu Tuan
(Duan Yifu
段义孚) :
« Le lieu signifie sécurité, l’espace liberté » (“地方意味着安全,空间意味着自由”),
l’espace se transformant en lieu en absorbant des éléments
locaux subjectifs, le climat, la terre et l’eau, la faune et la
flore.
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« La
carte des marées » Cháoxī tú《潮汐图》 |
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Relation à
la nature
C’est un roman
écrit d’un point de vue féminin (lié à l’eau), le personnage
principal étant une grenouille géante mi-animal/mi-humaine. Son
histoire commence dans les années 1820 quand elle est découverte
par un naturaliste écossais arrivé à Canton après un long
périple ; il capture l’animal et la met dans un jardin tropical
de Macau où la grenouille entre en contact avec les oiseaux et
autres animaux enfermés là dont elle partage les joies et les
peines. Elle y acquiert une nouvelle connaissance du monde.
Mais, à la veille des guerres de l’opium, le naturaliste fait
faillite et se suicide ; le jardin disparaît comme un rêve, la
grenouille doit affronter les dures réalités de la vie.
C’est une
histoire plus magique que réaliste, fondée sur les traditions
locales, imprégnées d’animisme, de la région de Lingnan (岭南),
c’est-à-dire la région « au sud des montagnes Nanling » qui
englobe toute la zone du Guangdong, plus Hong Kong, Macau et la
rivière des Perles. Lin Zhao définit une nouvelle relation de
l’homme vis-à-vis de la nature et de l’animal posé comme
« autre ». Ce sont les sentiments qui déterminent les relations
de l’un à l’ « autre », la « civilisation » étant du domaine de
l’abstraction, la relation à l’environnement du domaine du
spécifique et du concret. Dans l’univers de Lin Zhao, ce sont
les émotions qui permettent de créer des liens entre les lieux,
réels et fictionnels.
Relation au
passé
Le roman est
placé dès son exergue sous le signe de l’attention au passé,
avec un proverbe cantonais : « Le passé s’écoute, il ne se
réfute pas » (“听古勿驳古”).
Mais ce passé est aussi une fiction. La vérité est à rechercher
dans les sentiments et l’imagination.
L’une de ses
sources d’inspiration a été un ancien album de peintures
anonymes conservé à la Bibliothèque nationale du Portugal, édité
par Ye Nong (叶农)
et Jin Guoping (金国平)
et publié en 2018 aux éditions du peuple du Guangdong (广东人民出版社) :
intitulé « Album de peintures de Macao et des Îles de
l’Atlantique » (《澳门及大西洋岛屿画册》),
il est composé de 49 dessins et esquisses au crayon comportant
paysages, cartes et dessins de personnages datant de 1831-1832,
probablement de la main d’un marin ou d’un voyageur cherchant à
tromper l’ennui du voyage en mer en exprimant sa passion
d’explorateur. L’anonymat même de ces dessins fait d’autant plus
rêver.
Relation à
la langue
Ils
représentent tout un imaginaire lié à la Rivière des Perles que
l’on retrouve sous une autre forme dans le roman de Lin Zhao. La
nature y est omniprésente et essentielle, mais le sont aussi les
multiples dialectes locaux auxquels Lin Zhao est liée en tant
que native de Shenzhen, ville d’immigrants dans un environnement
multiculturel où se mêlent cantonais, hakka, dialectes de
Chaoshan et du Hunan, chaque dialecte reflétant une relation
particulière à l’univers local mise en relief par l’interaction
avec les autres.
En écrivant
« La carte des marées », elle dit
avoir été particulièrement attirée par les éléments dynamiques
de la langue cantonaise qui reflètent la marque de la terre et
de l’eau dans le paysage ; c’est à travers la langue qu’émerge
la texture et la couleur locales. Elle s’est inspirée, à cet
égard, de dictionnaires cantonais-anglais datant des années
1820, ou plutôt de minces glossaires qui circulaient à Canton
sous forme manuscrite avant de trouver un libraire pour les
imprimer. Ce qui est intéressant, ce ne sont pas les termes en
eux-mêmes, essentiellement du registre du commerce, mais l’image
de la vie quotidienne qu’ils donnent, comme un manuel de
conversation.
Écriture du
sud
Ses écrits
sont à rapprocher de ce que le poète et critique littéraire Yang
Qingxiang (杨庆祥)
a appelé la « nouvelle écriture du sud » (“新南方写作”),
qui englobe Lingnan, la mer de Chine du sud, la Baie de
Hongkong-Macao, la Rivière des Perles, et même la littérature
sinophone d’Asie du sud-est… Un concept encore imprécis, mais
qui prend forme peu à peu, autant en littérature qu’au cinéma.
Ce que recouvre « le sud » est difficile à définir, c’est
pourquoi, justement, il y a besoin de la littérature pour mieux
le concrétiser.
Dans ce
« sud », Lin Zhao traduit une conscience de la nature différente
de celle de la ville qui est une « seconde nature » mais n’est
peut-être aussi qu’une manière de comprendre la nature humaine.
C’est une nature où l’eau est omniprésente, et en particulier la
mer qui a accompagné sa jeunesse. C’est un élément mystérieux et
imprévisible qui suscite une double imagination, au sens où elle
est une « fin » et où elle est associée au temps heureux des
vacances, aux mythes et légendes qui ont bercé et nourri son
enfance et qui se teintent de nostalgie maintenant que ses
grands-parents maternels chez lesquels elle passait ses vacances
ne sont plus.
Sa « carte des
marées » se termine justement sur la disparition de la nature…
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