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Liang Hong 鸿

Présentation

par Brigitte Duzan, 22 février 2020  

 

Liang Hong est née en 1973 à Liangzhuang (梁庄) [1], dans le sud-ouest du Henan, un bourg pauvre perdu dans la Plaine centrale, où vit encore sa famille.

 

Cette région était traditionnellement terre de migration et grenier à céréales, essentiellement agricole, donc considérée comme sous-développée et arriérée dans la Chine de l’ouverture et des réformes. Liang Hong en a fait son sujet de recherche. C’est aussi le cadre

 

Liang Hong (photo Caixin)

et l’inspiration principale de ses récits : Liang Hong est l’une des rares écrivaines chinoises contemporaines dont l’œuvre est d’inspiration essentiellement rurale.

 

Etudes et recherches

 

Elle était le cinquième enfant de sa famille. Grâce à son père, ses sœurs et elles ont pu poursuivre des études. Sa sœur aînée est la première à être allée travailler en ville. Elle écrivait à ses sœurs : étudiez bien, c’est le seul moyen de vous en sortir.

 

Au collège, Liang Hong a écrit dans son journal de bord : « Je veux être écrivaine. » C’est pourquoi elle a choisi d’étudier la littérature chinoise, d’abord à l’Ecole normale du district de Deng (邓县师范学校), près de Liangzhuang. Après quoi elle a été quelque temps institutrice à l’école primaire de cette petite ville. Puis, en 1997, à l’âge de vingt ans, elle est entrée à l’université de Zhengzhou (郑州大学), la capitale provinciale. En 2000, elle est partie à Pékin préparer un doctorat en littérature chinoise contemporaine, et de là, en 2003, elle est passée à l’Université du Peuple (Renmin daxue 人民大学) pour un cursus postdoctoral. Enfin, de juillet à novembre 2013, elle a été en résidence à l’université Duke, aux Etats-Unis.

 

Elle a écrit de nombreux articles sur la littérature contemporaine chinoise publiés dans différentes revues. Mais elle se sentait de plus en plus éloignée de son village natal, auquel elle restait profondément attachée, et attristée de voir le monde rural être considéré en Chine comme un fardeau. Elle a décidé de témoigner – témoigner des souffrances causées par une politique de développement qui a assigné aux villageois un statut de marginaux exilés dans les franges urbaines et qui a détruit l’environnement naturel : s’il y a aujourd’hui des routes partout, les rivières sont asséchées, et les autoroutes ont coupé les liens entre des villages autrefois voisins. Elle est revenue enquêter.

 

Enquêtes à Liangzhuang

 

Ceux qui sont restés

 

La Chine à Liangzhuang

 

En 2008, pendant les vacances de la fête du Printemps, elle est revenue à Liangzhuang avec son fils, a interrogé son père et quelques anciens, puis, pendant cinq mois, a mené une véritable enquête sur la vie locale, les relations entre les familles et le sort des jeunes partis en ville. Le résultat de cette enquête entre sociologie et anthropologie est publié en novembre 2010 sous le titre « La Chine à Liangzhuang » (《中国在梁庄》).

 

Elle dresse le constat que l’on connaît, mais avec l’authenticité du témoignage de l’intérieur, relaté en profondeur avec le regard distancié de l’universitaire revenue sur les lieux qui furent chez elle mais où elle ne se reconnaît plus : le monde ancien s'effondre car les mentalités ont changé, les jeunes sont partis travailler en ville en laissant leurs enfants aux grands-parents, ces enfants n’ont aucun goût pour l’étude, d’ailleurs

beaucoup d’écoles ont fermé, les familles ont perdu le sens de la solidarité d’antan, la justice est corrompue…

 

Tout cela, on l’a déjà lu et entendu, mais Liang Hong ajoute la voix de témoins individuels qui dépasse le cliché des « failles de la modernité » et fait de sa narration un texte littéraire empreint de chaleur, au-delà des faits impassibles de l’histoire et d’une actualité qui semble sans appel. Liang Hong refuse tout discours établi, et présente son enquête non comme un travail de terrain en milieu rural, mais comme un retour au contact de sa terre, sa famille et ses proches qui y vivent encore, sans vouloir juger ni tirer de conclusion.

 

Le livre est paru en Chine, il n’est pourtant pas tendre envers le pouvoir ; Liang Hong a même recueilli des témoignages terribles sur la Grande Famine. Mais, dans le dernier tiers du livre, elle donne la parole aussi aux autorités locales, qui se montrent totalement désemparées devant les problèmes qu’elles ont à affronter, et n’ont pas les moyens de résoudre.

 

Et ceux qui sont partis

 

Pour compléter son tableau de Liangzhuang, elle a ensuite enquêté sur ceux qui en sont partis, pour savoir où ils sont allés, et ce qu’ils sont devenus. Cela a donné « Partis de Liangzhuang » (《出梁庄记》) publié en avril 2013, où elle dresse un portrait d’une cinquantaine de personnes parties travailler en ville depuis plus de vingt ans pour les plus anciens. Les questions sont celles que l’on aimerait leur poser : dans quelle ville travaillent-ils ? quel travail ont-ils trouvé ? quelles relations ont-ils avec la ville ? avec le village ? aimeraient-ils y revenir vivre ? Au total, les travailleurs migrants de Liangzhuang sont représentatifs des 250 millions de paysans migrants que compte la Chine aujourd’hui, et sur lesquels on a surtout des statistiques, mais très peu de témoignages personnels.

 

Essais complémentaires

 

Partis de Liangzhuang

 

Ces deux ouvrages ont remporté de nombreux prix. Deux ans plus tard, Liang Hong est revenue avec un recueil d’essais, publié en février 2015, où elle offre une réflexion personnelle née de ses travaux précédents sur Liangzhuang et la ville : « L’histoire et moi » (历史与我的瞬间).  La réflexion est structurée autour de l’idée d’existences partagées entre départs et retours, et du rôle de la littérature dans ce processus historique. Le livre est en trois parties : « Revenir et partir » (归来与离去), « La littérature dans la liberté sur l’arbre » (文学在树上的自由) et « Les vicissitudes que nous avons vécues » (我们曾历经的沧桑).

 

Autres récits

  

A partir de 2015, Liang Hong a aussi écrit des nouvelles dont elle a publié un recueil.

 

La Sainte Famille

 

En décembre 2015, elle publie un recueil de douze récits de destins singuliers, mais entrecroisés, des personnages autour du village de Wuzhen (吴镇), formant « La Sainte Famille » (《神圣家族》). C’est toujours l’histoire symbolique des mutations accélérées de l’environnement rural et urbain dans la Chine contemporaine ; les histoires de Liang Hong, liées entre elles, dessinent des motifs de vie, comme des paysages humains, la logique du développement se révélant un réseau illusoire de paradoxes et de contradictions.

 

Liang Guangzheng 

 

La Sainte Famille

  

En octobre 2017, elle publie son premier roman, aux éditions Littérature du peuple : « La lumière irradiée par Liang Guangzheng » (《梁光正的光》), toujours dans le même cadre de Liangzhuang. Liang Guangzheng est un personnage tout aussi emblématique que les précédents, mais plus personnel : derrière lui se profile l’image de son propre père, mort peu de temps auparavant, qui l’avait accompagnée et aidée dans ses enquêtes mais qu’elle connaissait toujours mal.

 

L’histoire de Liang Guangzheng est contée en flashback par ses enfants qui la découvrent alors qu’il est très âgé : la vie typiquement tumultueuse, dans une période de famine et de troubles, d’un brave homme dont la femme est paralysée, et qui se bat pour nourrir sa maisonnée, quatre enfants et deux maîtresses… C’est une histoire à la Sisyphe où chaque victoire se paie d’une défaite, mais sans abattre Liang Guangzheng, paysan mais surtout combattant, dont la fureur de vivre emporte tout.

 

La lumière irradiant de Liang Guangzheng

 

Liang Hong se souvenait de la chemise blanche que portait son père, une chemise impeccable même aux pires moments, quand ils souffraient de la faim. Cette chemise blanche, c’est la « lumière irradiant de Liang Guangzheng ». En même temps, son roman est le portrait de relations familiales tendues, entre amour et haine. Dans son premier livre, « La Chine à Liangzhuang », elle fait remonter l’origine de ces problèmes à la répression des sentiments dans la cuture traditionnelle chinoise. Tout le monde vit dans la solitude et le silence, et pour compenser se sacrifie.

 

Liang Hong et son père (photo weibo)

 

La question à laquelle elle tente de répondre est toujours la même, celle que beaucoup se posent : pourquoi est-il toujours si difficile de vivre pour les Chinois, pourquoi ont-ils toujours des vies si dures ? Un ami a appelé son style le « réalisme de l’horreur » (“恐怖现实主义”). En fait, dit-elle dans une interview au journal Caixin à la suite de la publication du roman [2], je n’en ai pas fini de parler de Liangzhuang.

 

Mais son prochain livre, à nouveau non fictionnel, sera une étude du métro, à Pékin, et des migrants, de Liangzhuang et d’ailleurs, qui le prennent chaque jour… 

 


 

Principales publications

 

Non fiction

2010 La Chine à Liangzhuang 《中国在梁庄》

2013 Partis de Liangzhuang 《出梁庄记》

2015 L’histoire et moi 历史与我的瞬间

 

Fiction

2015 La Sainte Famille 《神圣家族》

2017 La lumière irradiée par Liang Guangzheng 《梁光正的光》

 


 

Traduction en français

 

Si la Chine était un village, tr. Patricia Batto, Philippe Picquier 2017, Picquier poche septembre 2019, 469 p.

(traduction de « La Chine à Liangzhuang »)

 

 

[1] Littéralement le bourg des Liang.

     

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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