Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Hung Hung 鸿鸿

Présentation

par Brigitte Duzan, 9 août 2018

 

Né en octobre 1964 à Tainan, au sud de Taiwan, Hung Hung est un créateur protéiforme, à l’activité foisonnante : il est à la fois écrivain et poète, éditeur, metteur en scène de théâtre, réalisateur et scénariste, et toutes ses créations se recoupent sans rupture. Mais il est aussi bien producteur et organisateur d’événements culturels car il lui importe aussi de faire connaître des œuvres d’autres que lui.

 

Cependant, qu’elle soit littéraire, cinématographique ou théâtrale, son œuvre reste essentiellement « poétique », au sens où elle touche et dérange, en se situant au-delà du quotidien, ou du réel, en créant des associations d’idées inhabituelles, ce qui brouille les repères, donc la perception du monde. Il y a une grande unité dans tous les aspects de son œuvre.

 

Entre théâtre et poésie

 

De son vrai nom Yen Hung-ya (閻鴻亞/阎鸿亚), Hung Hung a fait dans les années 1980 des études d’art dramatique à

 

Hung Hung (on remarquera sur son Tshirt : Einstein on the Beach, opéra compose

par Philip Glass en 1974 et mis en scène

en 1976 par Robert Wilson)

l’Institut national des arts de Taipei (aujourd’hui Université nationale des arts de Taipei). Il monte ses premières pièces alors qu’il est encore étudiant. Il débute ainsi à Taiwan dans les années 1980, c’est-à-dire au moment de la levée de la loi martiale – qui a eu lieu en 1987. C’est une période de mouvements de protestation et d’effervescence socio-culturelle marquée par le développement de différents types de théâtre - théâtre abstrait, engagé, expérimental - dans une atmosphère stimulante. 

 

C’est aussi au début des années 1980 qu’il écrit ses premiers poèmes. Son premier recueil de poésie, « La musique de l’obscurité » (《黑暗中的音樂》), est publié en 1990. Six autres paraîtront entre 1996 et 2014.

 

En 1992, il devient rédacteur en chef de la revue Performing Arts (表演藝術雜誌). Puis, en 1994, il crée sa première troupe professionnelle, le Stalker Theater Group (密獵者劇團), avec laquelle il met en scène de nombreuses pièces occidentales.

 

D’août 1996 à juillet 1997, il séjourne en France en tant qu’artiste en résidence à la Cité internationale des arts de Paris. De retour à Taiwan il se lance dans une création artistique à la fois littéraire et théâtrale.

 

En 1999, il est chargé, par la maison d’édition taïwanaise Tang Shan (唐山出版社), de la direction de la collection « Classiques traduits du théâtre contemporain » (當代經典劇作譯叢dans laquelle il publie une vingtaine d’ouvrages dans les deux années qui suivent.

 

Dark Eyes

 

En 2000, il conçoit le programme « Le théâtre littéraire de Taiwan » (台灣文學劇場) pour le Crown Theater de  Taipei et en 2003 il est le curateur de la série « Shakespeare à Taipei » (莎士比亞在台北) pour le Théâtre national de Taiwan.

 

En 2002, il cofonde la revue Poésie d’aujourd’hui (現在詩), et, en 2006, crée la maison d’édition Dark Eyes (黑眼睛文化) qui, à partir de 2008, publie, entre autres, la revue de poésie papier de toilette + (衛生紙詩刊+).

 

Le nom, Dark Eyes, est une référence en soi ; il est tiré du célèbre poème de Gu Cheng (顾城) intitulé

« Une génération » (《一代人》) – un poème de deux vers qui est comme un manifeste :  

黑夜给了我黑色的眼睛       la nuit obscure m’a donné des yeux noirs
我却用它寻找光明              mais je m’en sers pour chercher la lumière

 

En 2009, Hung Hung le reprend lorsqu’il crée une seconde troupe de théâtre, le Dark Eyes Performance Lab (黑眼睛跨劇團), avec laquelle il se propose de reprendre le travail sur le théâtre expérimental et de tenter de le lier à la culture de masse [1]… Par le seul biais de ce nom, il crée une continuité au sein de toutes ses créations.

 

Au total, il a mis en scène une douzaine de pièces de théâtre et deux opéras. Mais, outre ses poèmes, il a également écrit des essais et des nouvelles. L’une de celles-ci – « Le cheval de bois » (《木馬》) - a été adaptée en bande dessinée par le dessinateur hongkongais Chihoi (智海) qui l’a publiée sous le titre Huiqia (《灰掐》), terme populaire pour désigner un train en taïwanais ; la bande dessinée a donc été traduite en français sous le titre « Le train » [2], ce même titre étant repris dans les autres traductions, en anglais, italien et finlandais. [3]

 

Le train

 

En 2013, il a été lauréat du prix de littérature Wu San-lien.

 

Mais aussi le cinéma

 

Scénariste

 

Parallèlement, Hung Hung débute au cinéma comme scénariste, assistant d’Edward Yang avec lequel il signe les scénarios des deux films « A Brighter Summer Day » (《牯岭街少年杀人事件》) en 1991, et « A Confucian Confusion » (《独立时代》) en 1994 [4]. Le scénario du premier a été primé au festival du Golden Horse en 1991.

 

C’est également lui qui a écrit le scénario du film « The Rice Bomber » (《白米炸彈客》) de Cho Li (卓立), sorti en 2014. Le scénario est inspiré de l’histoire vraie de l’activiste écolo taïwanais Yang Rumen (楊儒門), et de son livre « Le riz blanc n’est pas une bombe ».

 

Réalisateur et producteur

 

En 1998, il fonde sa propre société de production, Les moutons sans soucis (快活羊電影工作室), et réalise quatre films à forte connotation littéraire qui tranchent sur la production cinématographique à Taiwan à l’époque et sont primés dans nombre de festivals :

 

- En 1998 : « L’amour des trois oranges » (《三橘之戀》) est présenté à la Biennale de Venise, et, l’année suivante, obtient le prix FIPRESCI au festival de Chicago et le prix de la mise en scène au festival des 3 Continents à Nantes.

 

- En 2001 sortent une fiction, « La comédie humaine » (《人間喜劇》), qui obtient le prix du public au même festival des 3 Continents, et un film semi-documentaire, en numérique, « Un jardin dans le ciel » (《空中花園》), qui, témoignant d’une imagination débordante, est primé au festival de cinéma de Taipei en 2002.

 

- En 2007 : « Le passe-muraille » (《穿牆人》), un film de science-fiction inspiré de la nouvelle éponyme de Marcel Aymé, ainsi que du « Alphaville » de Jean-Luc Godard.

 

Par ailleurs, Hung Hung a réalisé des documentaires pour la télévision taïwanaise. En 2016, il a produit le documentaire expérimental de son compatriote Huang Ya-li (黃亞歷), « Le Moulin » (《日曜日式散步者》), évocation des poètes taïwanais pendant la période de colonisation japonaise, dans les années 1930. Le Moulin était une société de poésie créée en 1935, dont les poètes membres écrivaient en japonais, mais qui n’a duré qu’un an. Le documentaire suit ces poètes jusqu’à la fin de l’administration japonaise et pendant la Terreur blanche, dans un style surréaliste inspiré du surréalisme français, comme l’était la poésie en question.

 

Le passe-muraille, film de 2007

 


 

Traductions en français

 

- Sélection de poèmes, dans l’anthologie de poésie taïwanaise contemporaine De l’infidélité, tr. Esther Lin-Rosolato, Buchet/Chastel, 2008 [5].

- Le Train, bande dessinée en collaboration avec le dessinateur Chihoi, tr. Camille Loivié, Atrabile, 2010.

- Le passe-muraille, recueil de poèmes, tr. Camille Loivié, éditions Circé, été 2018.

- Un poisson qui écrivait des romans, tr. Matthieu Kolatte et les étudiants de son cours de français à l’Université nationale de Taiwan, Jentayu n° 8, été 2018.

 


 

Lire en complément

 

L’interview de Hung Hung par Matthieu Kolatte et ses élèves (traducteurs de la courte nouvelle parue dans Jentayu n°8) :

http://editions-jentayu.fr/numero-8/hung-hung-un-poisson-qui-ecrivait-des-romans/

 

Dans cette interview, il souligne comment, à partir du début des années 1990le climat artistique a perdu de son effervescence après la mise en place de réformes démocratiques ; la création d’un système de subventions gouvernementales au théâtre, en particulier, a contribué à uniformiser la production. Les techniques se sont affinées, mais les metteurs en scène taïwanais ont tenté de capter un auditoire en renonçant aux excès de l’expérimentation et à la vitalité créatrice qui lui était associée.

 

On est frappé de constater qu’un phénomène similaire s’est produit en même temps en Chine continentale où l’ouverture au marché, au début des années 1990, a produit des effets semblables, en l’occurrence le rejet du mouvement avant-gardiste de la fin des années 1980 et la recherche de succès commerciaux. A Taiwan, cependant, l’art engagé est resté très vivant. Hung Hung continue à faire partie de cette scène qui traduit le désir de réforme et une réflexion sur les problèmes du présent.

 

Il est intéressant, par ailleurs, de le voir défendre la tendance à la commercialisation de l’esprit de contestation à Taiwan, en particulier dans les films grand public. Ceci montre bien, dit-il, que le désir de changement est devenu général, ce qui lui donne quelques raisons d’optimisme, dans le pessimisme de fond qu’il ressent quand il considère la position fragile de son pays sur l’échiquier mondial.

 

 

[1] Voir la présentation des mises en scène sur le site du Lab : http://darkeyes.com.tw/eng/about-us/

[2] Voir la présentation du livre traduit en français sur le site Lettres de Taiwan :

https://lettresdetaiwan.com/2013/03/01/le-train/

[3] Voir les traductions, explications et dessins sur le site du dessinateur : http://www.chihoi.net/comics/train/

[4] Sur Edward Yang et ces deux films, voir : http://www.chinesemovies.com.fr/cineastes_Edward_Yang.htm

 

     

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.