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Ho
Sok Fong
賀淑芳
Présentation
par Brigitte
Duzan, 27 février 2022
Ho Sok Fong (He Shufang
賀淑芳)
est une écrivaine malaisienne sinophone, auteure de
nouvelles dont le thème principal est la vie des
femmes dans la société moderne de Malaisie, sur fond
de tensions ethniques et religieuses. Installée
aujourd’hui à Taipei, elle est l’une des principales
représentantes de la
littérature sinophone de Malaisie dite mahua.
De la Malaisie à Taiwan
Ho Sok Fong est née en novembre 1970 dans l’Etat de
Kedah, au nord-ouest de la péninsule de Malaisie.
Elle a d’abord fait des études d’ingénieur à
l’Université des Sciences de Malaisie (Universiti
Sains Malaysia) à Penang. Puis, en 2017, elle a
obtenu un diplôme de docteur en langue et
littérature chinoises de l’Université de technologie
de Nanyang (NTU), à Singapour. |
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Ho Sok Fong |
Elle a
travaillé deux ans dans une usine de puces électroniques avant
de devenir journaliste puis novelliste, passant du devoir de
l’information précise, dans une langue utilisée de manière
essentiellement fonctionnelle, à la joie de s’exprimer plus
librement en maniant l’équivoque et l’allusion à plaisir en
essayant d’éviter la contrainte des impératifs politiques.
Elle a
finalement déménagé à Taipei pendant l’été 2020 et enseigne
maintenant à l’Université nationale des Arts de Taipei.
Auteure de nouvelles
Peintre
surréaliste de la réalité sociale
N’en parlez plus, dans l’anthologie
éponyme (1997-2003) |
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Elle a commencé à écrire au début des années 2000.
Sa première nouvelle est publiée en 2002 à Taiwan :
« N’en parlez plus » (Bie zai tiqi《別再提起》).
Écrit alors qu’elle était encore journaliste au
Nanyang Siang Pau (南洋商报),
à Petaling Jaya près de Kuala Lumpur, le récit est
une bonne introduction à l’univers de l’auteure : à
la mort d’un chef d’entreprise chinois malaisien, sa
famille s’occupe de l’organisation de ses
funérailles lorsque soudain les autorités
religieuses font emporter son corps ; la famille
apprend alors que le défunt s’était converti à
l’islam avant sa mort. Ho Sok Fong évoque ici les
hommes d’affaires chinois de Malaisie qui, dans les
années 1970 et 1980, se sont convertis pour en tirer
des avantages dans un contexte où les élites
malaises au pouvoir favorisaient les Malais pour
calmer les tensions. La nouvelle a été bannie de
Malaisie et tout article à son sujet interdit. |
Ses nouvelles évoquent de même des thèmes interdits
ou litigieux, qu’elle évoque avec circonspection et
distance. Elle en a publié deux recueils : l’un de
douze nouvelles, « La couverture labyrinthe » (《迷宮毯子》),
ou « Maze Carpet », en 2012 et l’autre de neuf
nouvelles, « Le lac comme un miroir » (《湖面如鏡》 ),
près de dix ans plus tard .
Ses nouvelles ont une atmosphère étrange, voire
surréaliste, qui semble aux confins du rêve et de la
réalité, mais en fait ancrées dans une réalité qui
dépasse l’entendement, ou qui présente diverses
possibilités d’entendement, entre les lignes, car
toutes les options restent ouvertes. Il y a toujours
un côté fantastique, mais ce n’est parfois que pour
masquer une réalité élusive, ou pour éviter de la
dévoiler. Car on retrouve dans tous ses récits un
malaise diffus qui vient du danger d’exprimer |
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Le tapis labyrinthe |
sa
pensée dans un contexte politique où une parole de trop peut
être désastreuse, pour les professeurs en particulier.
Toute expression d’opinions personnelles et
critiques, en particulier sur la religion et
l’islamisation croissante de la société, peut vous
valoir de sérieux ennuis. Mais le problème est plus
complexe qu’ailleurs, s’agissant d’une société
multiethnique et multiculturelle où les langues se
mêlent. C’est ce paysage complexe que Ho Sok Fong
évoque subtilement entre les lignes, ou parfois plus
ouvertement, comme dans « Le lac comme un miroir »
où une professeure se voit refuser le renouvellement
de son contrat pour s’être élevée contre l’emprise
islamiste sur le corps des femmes. Mais sa collègue,
la narratrice de la nouvelle, s’interdit d’en parler
ouvertement avec elle, d’autant plus effrayée
qu’elle a elle-même failli subir le même sort, pour
avoir laissé un de ses étudiants lire en classe un
poème d’E.E. Cummings abordant le thème de
l’homosexualité.
Narration au féminin |
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Le lac comme un miroir, édition de
Chine continentale 中国友谊出版 décembre 2020 |
Si, chez
d’autres écrivains malaisiens sinophones, on est plongé dans la
moiteur de la forêt et ses dangers, on parcourt l’histoire de la
péninsule et l’invasion japonaise, chez Ho Sok Fong on est de
plain-pied dans la réalité urbaine, dépeinte d’un point de vue
féminin, avec des éclats surréalistes pour briser la surface
apparente des choses et le non-dit imposé. Comme elle l’a
expliqué dans une interview à l’occasion de la parution en
anglais de son recueil « Lake like a Mirror »
,
ce n’est qu’à partir du début des années 2000 qu’on a commencé à
parler de politique dans des œuvres de fiction en littérature
mahua ; auparavant on ne le faisait qu’en poésie.
Ce qu’elle
dépeint, c’est l’univers des femmes, dans une société où il leur
est difficile de s’exprimer, difficile de vivre librement.
Chacun des neuf récits de son dernier recueil (« Le lac comme un
miroir ») est l’histoire d’une femme, contée comme à travers le
voile du rêve, avec ses aspirations et ses désirs intimes,
refoulés mais d’autant plus présents sous la surface des
conventions. Elle défend la peinture de l’érotisme féminin, chez
elle extrêmement délicat, poétique et subtil, rappelant à plus
de vingt ans de distance, les balbutiements de « l’écriture
privée » (私人写作)
en Chine
.
Elle dit
:
[…也就是说]在当女性书写女性的故事的时候,她成为了自己全部感受的叙事者,成为自己叙述的主人。这对女人,或对人来说都很重要,因为认识自己的欲望,是重新定义自己的方式之一。”
« [cela
signifie aussi que] lorsqu’une écrivaine écrit une histoire de
femme, elle devient la narratrice de ses propres émotions, le
personnage principal de sa narration. C’est très important, pour
les femmes comme pour tout le monde, car connaître ses propres
désirs est une manière de se redéfinir soi-même. »
Elle va
même plus loin en déclarant que l’exploration du désir dans sa
dimension la plus secrète est éminemment féminin, c’est comme
aller fouiller dans les ombres enfouies au plus profond de la
conscience ou sur la face cachée de la lune (走进意识底层,或走到月亮背面的阴影…).
Elle est
lauréate du
Chiu Ko Fiction Prize (2015) et du 30ème United Press
Short Story Prize (“联合报短篇小说奖”),
du 25ème China Times Short Story Prize (“时报短篇小说奖”)
et du English Pen award.
Autres
écrits
Ho Sok
Fong publie également des essais dont beaucoup, traduits par
Natascha Bruce, sont en ligne sur le site de l’éditeur Granta.
Ce sont pour la plupart des réflexions sur l’écriture, tel « Craft »
par exemple, publié le 15 janvier 2021 : elle y réfléchit sur
l’écriture créative et son rapport à la mémoire et au passé, en
revenant sur la genèse de certaines de ses nouvelles et sur
diverses manières de les interpréter. Lire Ho Sok Fong, c’est
aussi constamment remettre en question ce qu’on a lu et retenu
de sa lecture. On ne peut jamais vraiment refermer le livre.
Elle
travaille sur un roman, « La Forêt en pleine fleur » (《繁花盛开的森林》),
grâce à une aide de la Fondation nationale pour la culture and
les arts de Taiwan.
Traduction en français
À la
découverte de la littérature sinophone de Malaisie,
trad. Coraline Jortay, Lettres de Malaisie 29 octobre 2021
Traductions en anglais
Par
Natascha Bruce
Recueil
- Lake Like a Mirror,
Granta (London), 2019, 199 p.
Neuf
nouvelles, neuf histoires de femmes :
The Wall
墙/
Radio Drama天空剧场
/ Lake Like a Mirror
湖面如镜/
The Chest
箱子/
Summer Tornado
夏天的旋风/
Aminah / Wind Through the Pinapples, Through the Frangipani风吹过了黄梨叶与鸡蛋花/
October
十月
/
March in a Small Town
小镇三月.
Nouvelles
- Dark
as a Boy,
nouvelle du recueil « Maze Carpet » à lire sur le site de la
revue en ligne Words without Borders (numéro de septembre
2021) :
https://www.wordswithoutborders.org/article/september-2021-malaysia-dark-as-a-boy-ho-sok-fong-natascha-bruce
- Moth
Eyes, sur le site Pen Transmissions :
https://pentransmissions.com/2019/07/31/moth-eyes/
Courant de littérature féminine chinoise représenté
entre autres par
Lin Bai (林白).
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