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Gao Ertai
高尔泰
Présentation
par
Brigitte Duzan, 27 juin 2019
A la fois philosophe, peintre et écrivain, et
aujourd’hui réfugié aux Etats-Unis, Gao Ertai (高尔泰)
est né en 1935 dans le district de Gaochun (高淳县)
dans le Jiangsu
,
dans une famille de lettrés progressistes. C’était
deux ans avant l’entrée en guerre officielle du
Japon et son invasion d’une grande partie du
territoire chinois, ce qui, déjà, ne présageait pas
une enfance paisible. Gao Ertai avait dix ans à la
fin de la guerre, et quatorze lors de la fondation
de la République populaire.
Un artiste, de Jiabiangou à Dunhuang…
Peu après l’arrivée des communistes au pouvoir, il
se lance dans une carrière artistique. Il termine
ses études à l’Université normale du Jiangsu en 1955
et, en 1956, devient professeur de peinture dans le
lycée n° 10 de Lanzhou, dans le Gansu. |
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Gao Ertai |
En février 1957, il publie dans le journal pékinois
« Construction nouvelle » (《新建设》杂志)
un essai « Sur le beau » (《论美》),
où il prétend que le beau est subjectif, que c’est une question
de goût personnel, la beauté apparaissant ainsi comme un symbole
de liberté
.
Pour cette hérésie, il est déclaré droitier et envoyé en
« rééducation » à Jiabiangou (加边沟),
le terrible camp du nord-ouest du Gansu, en bordure du désert de
Gobi, dont Wang Bing (王兵)
a fait le sujet de son documentaire fleuve « Les âmes mortes » (《死灵魂》)
.
Gao Ertai en est l’un des rares survivants. Il raconte sa
stratégie pour survivre : écrire. Ecrire sur des bouts de
papier, des caractères mal fichus, incomplets, impossibles à
lire, pour limiter le danger s’ils étaient découverts. Et tout
cela non tant pour écrire, en soi, que pour se donner un but,
une raison de survivre, et une manifestation palpable qu’il
était encore en vie.
Essai « Sur la beauté » (éd. 1982) |
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Essai « La beauté comme symbole de
liberté »
(avec un dessin d’apsaras de fresques de Dunhuang) |
Gao Ertai est libéré quand le camp est définitivement fermé, en
1961. En juin 1962, grâce à l’appui du directeur Chang Shuhong (常书鸿),
il obtient un poste à l’Institut de recherche des vestiges
culturels de Dunhuang (敦煌文物研究所)
et participe à la restauration des fresques. Mais, au début de
la Révolution culturelle, il est à nouveau condamné, battu et
emprisonné… cet esprit malfaisant, réincarnation de serpent, est
réduit au balayage jusqu’en 1972.
Gao Ertai et Pu Xiaoyu à la fin des
années 1980 |
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Il est réhabilité en 1977 et au printemps 1978
revient à l’université de Lanzhou, dans le
département de philosophie, pour enseigner
l’esthétique. Il enseigne ensuite à l’Université
normale du Sichuan (en 1984), à l’université Nankai
et à celle de Nankin. Outre ses travaux dans le
cadre de l’Institut de recherche de Dunhuang, il a
également mené des recherches à l’Institut de
philosophie de l’Académie des sciences sociales de
Chine. |
A la fin de l’année 1987, il épouse Pu Xiaoyu (浦小雨),
elle-même peintre.
…Et aux Etats-Unis
1989 est une nouvelle épreuve. Après les événements
de juin, il est poursuivi comme
contre-révolutionnaire et emprisonné pendant
l’enquête. Il est libéré en 1990 faute de preuves.
Il fait alors passer un message à son ami l’écrivain
Zheng Yi () qui a réussi à partir aux Etats-Unis
pour lui dire qu’il aimerait en faire autant. Il y
parvient en juin 1992, grâce à une vaste opération
connue sous le nom de code Yellow Bird (黄雀行动)
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Gao Ertai avec son épouse Pu Xiaoyu |
L’année suivante, il réussit à partir aux Etats-Unis, avec Pu
Xiaoyu. Au cours de toutes ces épreuves, il aura perdu son père,
sa première épouse, sa fille… On ne peut s’empêcher de penser au
Roi Lear, où Shakespeare fait dire à Edgar, en aparté :
O gods! Who is't can say 'I am at
the worst'?
ô dieux , qui peut dire “je suis au plus mal » ?
I am worse than e'er I was.
Je suis plus mal que jamais.
....
And worse I may be yet. The worst
is not Mais je peux être pire encore. Le pire est à
venir
So long as we can say 'This is the
worst.'
Tant qu’on peut encore dire “ceci est le pire”.
En quête d’une terre à soi
C’est cette vie qu’il raconte dans son autobiographie « En quête
d’une terre à soi » (《寻找家园》),
en la liant à d’autres évocations de destins du même ordre pour
brosser une vaste fresque de l’histoire chinoise moderne.
Fresque personnelle sans plaintes ni accusations, c’est surtout
un hommage à ceux qui l’ont aidé, et à ceux qui n’ont pas pu
l’être et ont disparu, au premier rang desquels ses trois
belles-mères, son épouse, sa fille…
En quête d’une terre à soi,
édition originale (2004) |
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En quête d’une terre à soi,
édition taïwanaise (Ink, déc. 2009) |
Publié en mai 2004 aux éditions Huacheng de Canton (广州花城出版社),
et en juin 2011 dans une édition révisée et complétée (《寻找家园(增订版)》)
parue aux éditions d’Octobre des Arts et des lettres (北京十月文艺出版社),
le texte est en trois parties ; écrit au départ avec soin, au
jour le jour, sur des petits bouts de papier faciles à
dissimuler, il garde le caractère fragmentaire de ses origines.
Gao Ertai part des tranchées de Jiabiangou pour s’élever
jusqu’aux cimaises des fresques bouddhistes des grottes de
Dunhuang. La poésie affleure à chaque ligne. Le chapitre « Face
au mur » est un poème en prose qui aurait pu, à lui seul, coûter
la vie à son auteur.
Les notes griffonnées par Gao Ertai à
la source de son livre
« En quête d’une terre à soi » |
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Pour autant qu’il ait souffert, Gao Ertai n’adresse
pourtant ni blâmes ni reproches. Il peut prendre un
verre avec un vieil homme qui l’a autrefois dénoncé,
et prendre pitié de ce qu’il est devenu en le voyant
à moitié handicapé. Il ne dénonce pas, mais fait
comprendre la psychologie de l’oppression : comment
l’homme peut oublier l’humanité en lui pour se
retourner contre ses proches afin d’éviter de finir
en victime, mais en contribuant par là-même à
renforcer encore l’oppression et se mettre
finalement en danger. |
L’écrivain Ha Jin a commenté ainsi le roman :
« Parmi les nombreux livres de souvenirs écrits par des
écrivains chinois, « En quête d’une terre à soi » ressort comme
un témoignage éloquent de la violation et de la destruction de
l’humanité. Ce chercheur respecté en théories de l’esthétique y
a décrit non seulement ses propres souffrances en lointains
camps de travail et les persécutions politiques subies par sa
famille et lui-même, mais aussi le sort de nombreuses personnes
ordinaires. Son style frappe par sa concision, son élégance, sa
retenue et sa profondeur. Chaque chapitre est une histoire
distincte, et l’ensemble forme un panorama historique de la
société chinoise de la deuxième moitié du 20e siècle.
Mais ce n’est pas simplement un livre de témoignage historique,
c’est une authentique œuvre littéraire. »
L’éditeur du livre en propose une lecture optimiste, comme une
leçon de résilience et de force de l’esprit humain, force de
l’espoir aussi, comme pour les survivants de l’Holocauste. Mais
Gao Ertai lui-même a un autre discours, plus modeste, plus
prosaïque, et en cela rejoint les autres anciens détenus de
Jiabiangou interviewés par Wang Bing. S’il a survécu, dit-il, ce
n’est pas par instinct ou volonté de survie, mais tout
simplement parce qu’il était peintre, et que le gouvernement
avait besoin de peintres, à l’époque. A bien des étapes de sa
vie, il a pu s’en sortir, de même, grâce à un appui
providentiel. Ceux qui n’ont pas eu ce genre de chance, dit-il,
ne sont plus là pour témoigner. La vie et la mort tiennent
finalement à des caprices du sort.
Traductions en anglais
- In Search of My Hometown – A Memoir of a Chinese Labor Camp,
tr.
Robert Dorsett and David Pollard, Harper Collins, 2009, 259 p.
Traduction partielle, en deux parties : Fragments in the Sand
( partie centrale des mémoires) et On Beauty.
-
“My Sister Lan’s Specimen Book.” Tr. H. Batt. In
Fissures: Chinese Writing Today, ed. Henry YH Zhao,
Yanbing Chen and John Rosenwald, Zephyr Press, 2000, pp. 90-95.
Traduction en français
En quête d’une terre à soi (《寻找家园》),
traduit du chinois par Danielle et Mathilde Chou (traduction de
la version intégrale publiée à Taiwan), Actes Sud, coll. Lettres
chinoises, 752 p.
Eléments de bibliographie
- One Man’s Survival Strategy in a Chinese Labor Camp: To Write,
by Barry Gewen, article publié dans le New York Times, Dec. 20,
2009, à l’occasion de la publication de « In Search of My
Hometown »
- Gao Ertai - The Alienated Aesthete, by Michael Schoenhals, in
Chinese Studies in Philosophy vol. 25/n° 1, M.E. Sharpe
1993, 88 p.
- Très beau témoignage de Bei Dao (北岛)
tiré de son recueil « La Maison bleue » (《蓝房子》) [à
traduire]
http://book.ifeng.com/shupingzhoukan/special/duyao60/wenzhang/detail_
2011_11/13/10626837_0.shtml
Documentaire sur Gao Ertai
- Beauty Lives
in Freedom, par Wang Bing (王兵), 300’, première américaine en
novembre 2018 aux Etats-Unis, puis projection à la Galerie
Chantal Crousel à Paris en décembre 2018.
Peintures
Un vieillard (lavis), 1991
http://wuzhuzhai.blog.sohu.com/72319413.html
Un oiseau
http://book.ifeng.com/a/20160209/18712_0.shtml
Vaste opération
menée conjointement par les services secrets américains
et britanniques et des diplomates français, en
collaboration avec diverses célébrités et hommes
d’affaires de Hong Kong, dont des membres de la mafia.
L’opération a continué jusqu’en 1997, et a réussi à
sauver quelque 400 personnes, dont les principaux
leaders des manifestations de Tian’anmen, en les faisant
passer à Hong Kong.
Ma traduction de l’original anglais :
"Among numerous memoirs by Chinese authors, In
Search of My Homeland stands out as an eloquent
testimony to the violation and destruction of humanity.
This revered scholar of aesthetic theories has written
not only about his personal suffering in the remote
labor camps and the political persecution he and his
family experienced, but also about the fates of many
common people. His style is fortified by concision,
elegance, restraint, and depth. Each chapter here stands
alone as a story and together they form a historical
panorama of the Chinese society in the second half of
the twentieth century. However, this is not just a book
bearing historical witness; it is authentic literature."
Citation en exergue de la traduction en anglais « In
Search of my Hometown ».
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