Fei Ying
费滢
Présentation
par
Brigitte Duzan, 13 juin 2024
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Fei
Ying |
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Née en
1986, Fei Ying a été finaliste du
prix Blancpain-Imaginist 2023
pour son recueil de nouvelles « moyennes » (中篇小说)
ou novellas : « La légende des perles dzi » (Tianzhu
chuanqi《天珠传奇》).
Spécialiste du récit fragmentaire, elle défend une écriture
de « bribes », de vie et de mémoire.
Nomade du monde moderne
Née à
Xinghua, dans le Jiangsu (江苏兴化),
Fei Ying a fait des études d’histoire (histoire du
bouddhisme et de la médecine traditionnelle chinoise) ; elle
est diplômée de la Sorbonne, mais, en 2016, s’est retrouvée
sans papier à Paris et se considère comme une réfugiée dans
le monde d’aujourd’hui (“世界流民”).
Elle est par ailleurs antiquaire et fait passer cette
passion – alimentaire – avant celle de l’écriture,
d’ailleurs tout aussi alimentaire au départ car elle
écrivait pour gagner des prix, et l’argent qui va avec.
En 2009,
une de ses très courtes nouvelles – « L’oiseau » (《鸟》)
- a obtenu la médaille d’or du « Concours d’écriture des
jeunes écrivains de langue chinoise du monde entier » (“全球华人少年写作征文大赛”)
ainsi que le prix littéraire du United Daily News (《联合报》)
de Taiwan.
Puis en
2013, écrivant à marche forcée 3 500 à 8 000 caractères par
jour, elle a réussi à finir le recueil de nouvelles
Dongkelou Jingbian (《东课楼经变》)
à temps pour décrocher le prix TSMC.
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Fei Ying lors d’une
séance de signature
de son recueil
Dongkelou Jingbian |
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Bribes et fragments
Maintenant, elle dit ne plus courir après les prix et écrire
de manière plus calme. Pourtant, les trois novellas du
recueil
Tianzhu
chuanqi
- « Xing Ze Huan » (《行则涣》),
« Fan Jing » (《反景》)
et « La légende des perles dzi » (《天珠传奇》)
- ont été écrites en huit mois, dans la deuxième partie de
l’année 2022 : les deux dernières incorporent des aspects de
son expérience d’antiquaire et « Fan Jing » relève en
outre de la science-fiction, le tout pastichant le genre
moderne du fragment littéraire et reflétant son expérience
d’antiquaire, d’une histoire de perle utilisée par les
Indiens pour payer leurs dettes de jeu dans le 13e
arrondissement de Paris à celle de boîtes en bois sensées
avoir appartenu à
Pelliot
trouvées dans la cave d’un libraire parisien….
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Tianzhu chuanqi |
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L’ensemble
reflète l’obsession de Fei Ying pour la collecte de textes
disséminés et de bribes de mémoire comme on recueille des
objets pour garder des traces d’un monde qui disparaît. Ses
personnages sont en marge, comme elle-même l’était à Paris,
étrangère illégale, privée de carte de séjour. Il est plus
facile, dit-elle
,
d’incorporer des fragments – de vie et de souvenirs – dans
une fiction plutôt que de tenter d’en faire un article. Cela
peut être un mantra découvert sur une peinture de Dunhuang
ou un souvenir de sa vie d’illégale à Paris. Celle-ci,
finalement, est fondamentale car elle a voulu faire de son
écriture un genre de « littérature des étals de rue » (“地摊文学”),
faite d’expériences de jeu, de fausses perles dzi et
d’histoires dignes de romans policiers.
Fei Ying a
un style particulièrement novateur : elle utilise aussi bien
des citations de textes littéraires (une nouvelle de
Wang Zengqi (汪曾祺)
dans la deuxième novella du recueil) que des allusions à des
pièces de théâtre ou d’opéras, des chansons ou des
traditions orales. De ses études d’histoire elle a gardé
l’idée qu’il n’y a guère de différence entre écriture de
fiction et narration historique
,
de même que le monde des antiquaires est envahi de faux et
de contrefaçons, mais tout aussi réels que les objets
authentiques ; même le monde des sûtras est un monde peuplé
de faux, les « vrais » venus d’Inde et les faux fabriqués,
ou recréés, par les moines chargés de les traduire.
Difficile de dire ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas,
surtout quand les antiquaires sont victimes d’arnaques et
tentent de prouver que ce qu’ils ont acheté est authentique
:
les rarissimes perles dzi seraient en fait fabriquées
en Allemagne mais vendues à prix d’or à Taiwan. Tout est
énigmatique : que signifient les caractères xing ze huan
(行则涣)
inscrits sur la pierre à encre d’un certain Zhu Yizun (朱彝尊),
et qui est-il ? Comment une grosse pièce chinoise a-t-elle
pu se retrouver dans un casino thaïlandais ? Et qu’est-ce
que tout cela peut bien avoir à faire avec la littérature ?
Ce qui
intéresse Fei Ying, ce sont les « traces » laissées par ces
objets, traces humaines et reflets des mentalités, objets
mémoriels. Mais aussi la « micro-histoire » (“微观史”),
celle des petites gens (“小人物作传”),
qui forme tout un pan de la narration historique chinoise.
Des micro-histoires qu’elle appelle « bribes » (“边角料”),
bribes de vies en marge, à sauver de l’oubli, mais bribes
sélectionnées, au détriment d’autres. La « vérité », trop
complexe, reste parcellaire, et le thème narratif principal
est tissé d’une infinité de « bribes ».
Finalement, les récits de Fei Ying sont des histoires
d’antiquaire en quête d’authenticité : un esprit subtil et
plein d’humour.
Publications
Recueil
d’essais
2001 : Une
fille qui perd souvent la tête
《经常走神的女孩》
Recueils de nouvelles et novellas
2013
Dongkelou
Jingbian《东课楼经变》
2023
Tianzhu
chuanqi
《天珠传奇》