Auteurs de a à z

 
 
 
     

 

 

Chen Yuan-tsung (Yuanzhen) 陳元珍

Présentation

par Brigitte Duzan, 15 janvier 2023 

 

 

Chen Yuan-tsung en juillet 2022 (photo Anthony Kwan pour le New York Times)

 

 

Née à Shanghai en 1929 [1], Chen Yuan-tsung a été éduquée dès l’âge de quatre ans dans une école bilingue de missionnaires pour filles, St Ursula’s. Ses parents étant morts en la laissant orpheline très jeune, elle fut adoptée par un oncle.

 

·         Un siècle de tribulations

 

De la guerre à la réforme agraire et à la Révolution culturelle

 

Elle raconte au début de son récit autobiographique « Le village du dragon » que la famille était riche. Elle décrit son oncle, qui avait épousé sa femme pour sa dot et fait fructifier ses affaires pendant la guerre, assis tranquillement à la table du petit déjeuner et récitant son dernier poème pendant qu’à quelques heures de là les troupes du Guomingdang, sur la rive sud du Yangzi, s’apprêtaient à en découdre avec celles des communistes massées sur la rive nord. Ils vivaient dans une belle maison de l’ancienne Concession française de Shanghai.

 

Quand il sentit approcher l’heure de la victoire communiste, l’oncle prit la décision, comme d’autres de ses amis, de fuir à Hong Kong. Il transféra là ses capitaux et acheta une maison au bord de la mer. Au printemps 1949, les religieuses fermèrent leur école, la vie mondaine se raréfia. Le 3 mai, la chute de Hangzhou coupa les possibilités de fuite vers le sud par la voie ferrée. Les plus fortunés partirent en masse en avion et en bateau. Les soldats du Guomingdang qui n’avaient pas été évacués jetèrent leurs armes et se fondirent dans la foule. Fin mai des drapeaux rouges apparurent sur quelques usines et bâtiments…

 

Finalement, son oncle et sa tante fuient à Hong Kong, mais sans elle : elle décide de rester, entraînée par une amie qui était passée dans l’underground communiste. Pendant la guerre, alors qu’elle se trouve à Chongqing où le Guomingdang avait temporairement établi le siège de son gouvernement, elle fait la connaissance de Zhou Enlai qui l’aidera par la suite.

 

Après la fondation de la République populaire, en 1949, tout juste émoulue du lycée, elle est engagée dans l’un des nouveaux ministères et, en 1950, est transférée au Bureau central du cinéma à Pékin. Elle est alors témoin de l’annihilation des élites culturelles et brûle tout ce qu’elle avait commencé à écrire. L’année suivante, comme beaucoup de travailleurs de la capitale, elle va participer à la Réforme agraire, dans son cas dans le Gansu.

 

En 1957, le commissaire politique sous les ordres duquel elle travaillait est condamné comme droitier et elle évite de justesse le même sort. Peu de temps avant la Révolution culturelle, elle épouse un Chinois de la diaspora et donne naissance à un fils. Pendant la Révolution culturelle, elle et son mari sont tous deux attaqués et envoyés à la campagne, mais en 1971 ils réussissent à partir à Hong Kong grâce à l’autorisation spéciale de Zhou Enlai, officiellement pour y faire de la propagande communiste. Puis ils partent aux Etats-Unis l’année suivante.

 

Chen Yuan Tsung a vécu une vie paisible dans un petit appartement face à la mer dans la baie de San Francisco où elle a été bibliothécaire adjointe de la Bibliothèque de l’Asie orientale de l’université de Californie à Berkeley (Berkeley’s East Asian Library). Mais elle a finalement été rattrapée par l’histoire.

 

Retour à Hong Kong : écrire pour témoigner

 

En 2010, elle a quitté Berkeley Hills pour revenir vivre à Hong Kong, dans un appartement donnant sur une autre superbe baie. Mais c’est en 2015 que des événements l’ont incitée à reprendre la plume car ils lui rappelaient trop de mauvais souvenirs : il s’agit de l’enlèvement de plusieurs éditeurs de Hong Kong par le ministère chinois de la Sécurité publique et leur extradition vers la Chine continentale. Le Parti a alors reproché aux écoles de ne pas avoir suffisamment enseigné le patriotisme à leurs élèves, en demandant une refonte des manuels scolaires.

 

Le 11 janvier 2018, le journal South China Morning Post (《南华早报》) [2] rapporta que les Presses de l’enseignement du peuple (People’s Education Press 人民教育出版社) avaient publié une nouvelle histoire de la Révolution culturelle dans laquelle ce que Deng Xiaoping avait reconnu comme étant dix ans de « catastrophe » (haojie 浩劫) était devenu dix ans de « difficile exploration du processus de développement » ("arduous exploration of development achievement"). C’est cette réécriture orwellienne de l’histoire qui lui a rappelé des souvenirs sombres des années 1950-1970 et l’a poussée à les écrire pour que leur rappel contribue à éviter que, ainsi falsifiée, l’histoire ne se répète. Car, de son fait même, cette réécriture de cette décennie cataclysmique montrait qu’il y avait des gens qui partageaient encore la mentalité maoïste responsable du désastre.

 

Les événements de 2019, se soldant par la Loi de sécurité nationale et le non-respect des engagements internationaux de la Chine, n’ont fait que renforcer son sentiment d’impuissance, et la nécessité de sortir du silence.

 

·         Publications

 

Ses récits autobiographiques en anglais forment une trilogie du souvenir.

 

1980-2008 : Return to the Middle Kingdom:

                    One Family, Three Revolutionaries, and the Birth of Modern China

                    Pantheon Books, 1980, rééd. Union Square Press, Sterling Publishing Company,

                    2008.

 

Dans ce premier ouvrage, Chen Yuan-tsung relate l’histoire de trois générations de la famille de son mari, et des trois révolutions qu’ils ont vécues.

 

Le grand-mère Ah Chen, paysan sans terre, a combattu contre les Mandchous pendant la Rébellion des Taiping en 1850-1864. Mais, la révolte ayant été écrasée grâce à l’aide des puissances occidentales, il a fui à la Trinité. Des dizaines d’années plus tard, son fils Eugene est devenu le premier avocat chinois de la Trinité ; il est allé s’installer à Londres où il a rencontré Sun Yat-sen dont il est devenu un proche. Inspiré par Sun Yat-sen, il est rentré en Chine et a participé à la révolution de 1911.

 

 

Return to the Middle Kingdom, 2008

 

 

Finalement, le fils d’Eugene, Jack (le défunt mari de l’auteure), est devenu journaliste et a écrit un ouvrage sur la révolution chinoise. Il a été arrêté par les Gardes rouges au début de la Révolution culturelle et, comme il ne parlait pas couramment le chinois, sa femme lui a servi d’interprète pendant ses interrogatoires. Les Gardes rouges lui demandèrent d’écrire son autocritique, « sur trois générations pour voir quels crimes sa famille avait commis contre la révolution », et c’est ainsi qu’ils commencèrent à rassembler les divers éléments de cette histoire. Le résultat est ce livre, qui couvre un siècle et demi.

 

L’histoire a été reprise dans un livre édité en chinois à Hong Kong en 2009 sous le titre :

Minguo waijiao qiangren Chen Youren : yi ge jiazu de chuanqi

民國外交強人陳友仁 : 一個家族的傳

(Chen Youren, homme fort de la diplomatie de la République : l’histoire extraordinaire d’une famille)

 

1981-2013 : The Dragon’s village : An Autobiographical Novel of Revolutionary China 

                     The Women’s Press, London, 1981, rééd. Union Square Press, Sterling Publishing

                     Company, 2013.

 

Ce deuxième volet est une histoire inspirée de son expérience réelle dans le Gansu pendant la Réforme agraire, à travers un double fictif , la jeune Guan Lingling. Mais la narration commence en 1949, par une description sarcastique des amis de l’oncle, riches industriels et ingénieurs se préoccupant de mettre leurs richesses à l’abri, et un général envoyé en Allemagne par Chang Kai-chek, revenu plus prussien que les généraux de Hitler et se remplissant les poches à la fin de la guerre en récupérant les rations et les gages des soldats morts qu’il conservait, fantômes, dans ses troupes.

 

 

The Dragon’s Village, 1981

 

 

Quand la famille part à Hong Kong, Lingling - comme Chen Yuan-tsung - refuse de partir avec eux. Restée à Shanghai, elle se joint à une troupe de théâtre révolutionnaire qui part bientôt dans les villages où a lieu la Réforme agraire. Elle se retrouve dans une région pauvre et isolée au fin fond du Gansu, à des lieues de la vie urbaine qu’elle connaissait : dans le « village du dragon » (Longcun ) où, dès le premier soir, elle est prise à partie par des hommes de main du propriétaire terrien local. Elle est ensuite emportée dans un flot incessant d’actes de violence d’où émergent les vagues lueurs d’un premier amour.

 

Le livre a été édité en chinois en 1990 aux Éditions des arts et des lettres de Shanghai (上海文艺出版社) sous le titre  Longcun : zuo niuche de dushi nülang  龙村 : 坐牛車的都市女

     (Le village du dragon : la fille de la ville dans un char à bœufs)

 

 

The Dragon’s village, 2013

 

 

2022 : The Secret Listener: an Ingenue in Mao’s Court

           Oxford University Press.

 

Elle revient sur toute son histoire dans ce dernier volet de son autobiographie, divisée en quatre parties :

-          avant 1949, de l’histoire familiale à la décision de rester en Chine ;

-          de 1949 à la campagne antidroitière en 1957 ;

-          du Grand Bond en avant et la Grande Famine à la Révolution culturelle ;

-          de la Révolution culturelle à l’exil, et au combat depuis l’exil [3].

 

 

The Secret Listener, 2022

 

 

Elle précise dans l’introduction qu’il ne s’agit pas seulement d’un livre de souvenirs. Sa mémoire repose aussi sur les nombreuses lectures qu’elle a faites, dont des biographies de Zhou Enlai et la « Biographie complète de Mao Zedong » (《毛泽东全传》) de Xin Ziling (辛子陵) publiée à Hong Kong en 1993 [4].

 

 

[1] Comme elle l’affirme dans l’introduction de son livre « Dragon’s village » et encore au début de « The Secret Listener » (et non 1932 comme on trouve souvent).

[2] Quotidien de langue anglaise de Hong Kong fondé en 1903 dont la relative indépendance a été remise en cause par des licenciements en 2002 et en 2012 par une crise ouverte au sein de la rédaction. Le groupe a été racheté en décembre 2015 par Alibaba et nage désormais entre deux eaux.

[3] Voir le compte rendu paru dans le New York Times :

https://u.osu.edu/mclc/2023/01/13/warning-for-the-world/

[4] Voir le compte rendu paru dans le n° 68 de Perspectives chinoises, en novembre-décembre 2001 : https://www.persee.fr/doc/perch_1021-9013_2001_num_68_1_2701

 

     

 

 

 

 

     

 

 

 

© chinese-shortstories.com. Tous droits réservés.