Bao Tianxiao
包天笑
1875-1973
Présentation
par
Brigitte Duzan, 12 avril 2024
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Bao
Tianxiao |
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Né à
Suzhou, mort à Hong Kong après de nombreuses années à
Shanghai et un passage par Taiwan, Bao Tianxiao est une
figure marquante de la Chine de la Première République (de
1912 à 1949). Lettré devenu homme de presse, à la fois
enseignant, éditeur, traducteur, journaliste et romancier à
succès, il incarne la modernité chinoise du début du 20e
siècle dans ses subtilités et ses contradictions. Longtemps
méprisé comme roi de la littérature populaire (Tongsu
wenxue zhi wang
通俗文学之王)
et représentant emblématique du courant des
« canards
mandarins et papillons » (鴛鴦蝴蝶派),
il est aujourd’hui apprécié sous un nouveau jour : un
« progressiste souriant » comme l’a dénommé Sebastian Veg
,
en marge de la radicalisation du
mouvement de la Nouvelle Culture.
Débuts professionnels précoces
Né en
février 1875 à Suzhou dans une famille de marchands sur le
déclin, Bao Tianxiao entre très jeune, à l’âge de cinq ans,
dans une école privée traditionnelle (sishu
私塾).
En 1889, il tente une première fois le concours mandarinal
au premier niveau, celui de xiucai (秀才).
Il échoue et, en 1892, la mort de son père plonge la famille
dans la pauvreté, ce qui l’oblige à travailler : à l’âge de
seize ans, il devient précepteur privé dans une famille.
Deux ans plus tard, pourtant, en 1894, il réussit le niveau
xiucai des examens impériaux. Il a dix-huit ans et se
lance aussitôt dans des activités d’édition, à Suzhou.
1900-1905 : du Jiangsu au Shandong et à Shanghai
En 1900, à
Suzhou, il fonde avec sept camarades la Société
d’encouragement à l’étude (Lixuehui
励学会)
qui publie un mensuel de traductions (Lixue yibian《励学译编》)
– traductions du japonais de textes portant sur des
questions politiques et juridiques par des étudiants chinois
au Japon.
Parallèlement, toujours à Suzhou, il crée avec le même
groupe d’amis la petite librairie Donglai (东来书庄)
qui diffuse le mensuel mais aussi des publications
japonaises, dont des journaux édités par des étudiants
chinois au Japon, et même de la papeterie japonaise
.
Bao Tianxiao en est le directeur et va s’approvisionner en
livres et revues à la librairie japonaise de Hongkou, à
Shanghai, qui fait office d’intermédiaire. La librairie
Donglai devient une véritable plateforme de diffusion
qui a beaucoup de succès auprès des lettrés de toute la
région du Jiangsu et même au-delà, mais finalement, la
librairie doit fermer ses portes au bout de deux ans, faute
de pouvoir équilibrer financièrement ses opérations
.
En octobre
1901, également à Suzhou, Bao Tianxiao fonde le Journal
en langue vernaculaire de Suzhou (《苏州白话报》)
qui succède au Mensuel des traductions. Inspiré du Journal
en langue vernaculaire de Hangzhou créé quatre mois
auparavant, en juin, c’est l’un des premiers journaux en
langue vernaculaire de Chine, qui paraît tous les dix jours.
L’impression en est confiée à l’atelier de Mao Shengzhen (毛上珍书局),
une impression à l’ancienne, par xylographie comme les vieux
classiques.
Cette
année 1901, Bao Tianxiao la passe en grande partie à Nankin,
comme tuteur du fils du lettré Kuai Guangdian (蒯光典)
auprès duquel il poursuit en même temps son éducation. Il
part ensuite s’installer à Shanghai, comme éditeur d’une
maison d’édition fondée par Kuai Guangdian : Maison
d’édition de traductions du Pavillon du grain doré (Jinsuzhai
yishuchu“金粟斋译书处”).
Comme son nom l’indique, l’objectif est de publier des
traductions de livres étrangers. C’est le Pavillon du grain
doré qui publie alors, avec un succès retentissant, les
grandes traductions qui font connaître
Yan Fu (严复)
et imposent en même temps son style de traduction, en belle
langue classique : « Evolution and Ethics » (Tiānyǎnlùn《天演論》)
de Huxley et le « System of Logic » (Mùlè
Míngxué《穆勒名學》)
de Stuart Mill.
Mais Kuai
Guangdian était le seul investisseur dans la maison
d’édition ; il n’y avait ni capital ni budget, et les
opérations étaient grevées de dépenses somptuaires pour
recevoir et régaler les amis de passage. En outre, il
fallait honorer des commandes demandant des envois postaux
toujours hasardeux en l’absence de service postal national
et de modes de paiement sûrs ; il était difficile de se
faire payer les livres expédiés. C’était une époque où Kuai
Guangdian était en attente d’affectation, sa maison
d’édition se révéla être un hobby passager. Au bout de deux
ans, il mit la clef sous la porte pour mettre fin à cette
ruineuse entreprise. Ses intérêts étaient ailleurs : il fut
ensuite nommé intendant du circuit de Huaiyang (淮阳道)
et se tourna vers l’action politique
.
La diffusion des livres déjà imprimés fut confiée à un
journal, et les droits des traductions de Yan Fu passèrent à
la Commercial Press.
Pourtant,
Bao Tianxiao renâcle à revenir à Suzhou où personne ne
l’attend (sa mère est morte en 1902). 1903 est ainsi une
période de tâtonnement, pendant laquelle il travaille pour
des petites maisons d’édition spécialisées dans la
publication d’ouvrages japonais. Finalement, en 1904, il se
résout à revenir à Suzhou après avoir attrapé la diphtérie à
Shanghai – ce qui lui inspirera la nouvelle « Un fil de
lin » (《一缕麻》).
Il enseigne six mois dans une école normale d’instituteurs
ainsi que dans la Société d’enseignement public de Suzhou,
dans le district de Wuzhong (Wuzhong gongxueshe
吴中公学社),
établissement financé par les familles des élèves.
En 1904,
il est invité par le préfet de Qingzhou (青州),
dans le Shandong, à diriger le collège financé par la
préfecture. Le voyage, alors, est une véritable expédition,
en ferry de Shanghai (36 heures), puis en train. Ce séjour
de quelques mois nous vaut, dans ses Souvenirs, une
description haute en couleur de l’atmosphère du lieu, alors
sous domination allemande.
En 1905,
les examens impériaux sont supprimés. Faute de mandarinat,
les lettrés se replient sur la presse pour vivre. Le secteur
se structure et se professionnalise ; avec la multiplication
des revues et l’émergence d’une petite bourgeoisie urbaine
avide de nouveauté, la concurrence devient féroce ; le roman
en feuilleton attire le lecteur. Bao Tianxiao se lance dans
l’aventure.
1906-1919 : homme de presse et romancier en vue, à Shanghai
À
Qingzhou, il est contacté par le romancier et éditeur
Zeng Pu (曾朴)
qui venait de fonder à Shanghai une librairie doublée d’une
maison d’édition, « La forêt de la fiction » (Xiaoshuo
lin
《小说林》),
qui publiait aussi un mensuel du même nom. C’est dans le
mensuel qu’il publiait alors en feuilleton la suite du roman
« Fleur sur l’océan des péchés » (《孽海花》)
dont les premiers chapitres, écrits par un premier
romancier, avaient été publiés au Japon dans la revue
Jiangsu
(《江苏》).
Zeng Pu
avait besoin de romans, genre à la mode et très demandé,
pour son mensuel. Mais Bao Tianxiao n’avait encore écrit que
quelques nouvelles, et ce en langue classique, alors que les
romans devaient être rédigés en langue vernaculaire – sauf
pour les traductions de romans étrangers qui étaient en
langue classique selon la tradition établie par
Lin Shu (林纾).
D’où la solution de Bao Tianxiao : comme il s’était arrêté à
la librairie japonaise de Hongkou avant de prendre le ferry
pour Qingzhou, il avait acheté quelques romans japonais, et
il entreprit d’en faire la traduction pour Zeng Pu.
À
Qingzhou, par ailleurs, il était abonné à l’Eastern Times (Shibao《时报》)
de Shanghai, revue éditée par les éditions Youzheng (有正书局)
fondées en 1904 par Di Chuqing (狄楚青)
avec l’aide de Kang Youwei (康有为)
et
Liang Qichao (梁启超).
Finalement, Zeng Pu lui propose de venir travailler avec
lui à Shanghai. C’est juste au moment où le directeur de
l’école de Qingzhou est remplacé par un nouveau directeur
avec lequel Bao Tianxiao ne s’entend pas. Il donne sa
démission et repart à Shanghai au milieu du mois de février
1906, par un temps exécrable qui rend la traversée
mémorable, surtout après la découverte à mi-parcours d’une
mine restant de la récente guerre russo-japonaise.
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Le Shibao
(Eastern Times) en 1908 |
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Cependant,
c’est par l’Eastern Times et son directeur général Di
Chuqing qu’il va être engagé. Travaillant avec le rédacteur
général, il est chargé de l’édition des nouvelles
nationales, mais aussi du supplément littéraire associé au
quotidien : le Yuxing (《余兴》),
ou « Divertissement », qui publie des romans aux côtés de
courtes chroniques d’actualité et de poèmes. Le roman est
alors ce qui fait vendre les journaux qui en publient
parfois plusieurs en même temps en feuilleton. Les revues
spécialisées se multiplient entre 1906 et 1911.
C’est pour
Bao Tianxiao le début de sa grande période d’écriture de
romans-feuilletons, d’abord en langue classique, puis, très
vite, en langue vernaculaire. C’est aussi une période riche
en rencontres, grâce au fameux « Pavillon du repos » (Xilou
息楼),
annexe des locaux du journal sur la rue Wangping (望平街),
la rue
des premiers locaux du Shenbao (《申報》).
Pourtant, il est devenu journaliste contre l’avis de sa
famille, car le métier de journaliste était considéré comme
potentiellement dangereux pour les proches, les journalistes
étant voués aux gémonies par l’impératrice douairière depuis
la tentative de Réforme de 1898.
À
Shanghai, il enseigne aussi dans des écoles pour filles,
dont l’école Chengdong (城東女學),
fondée par en 1901 par un lettré de Shanghai à son retour en
Chine après des études au Japon. À la fin de l’année, les
élèves devaient organiser une représentation théâtrale. Bao
Tianxiao leur écrivit deux pièces : l’une était inspirée du
« Marchand de Venise » dans la version des « Tales from
Shakespeare » de Charles et Mary Lamb publiés en 1807,
conte qui avait été récemment traduit par Lin Shu ; l’autre,
la deuxième année, une adaptation de « Sans Famille » (《苦儿流浪记》)
d’Hector Malot, « Les lamentations d’une pauvre orphelin » (《孤雏感遇记》).
En 1909,
Bao Tianxiao adhère à la Société du Sud (Nanshe
南社)
fondée à Suzhou en novembre par trois membres de la Ligue du
Tongmenghui (同盟会)
de Sun Yat-sen. C’est l’une des plus importantes sociétés
littéraires de l’époque, qui éditera de janvier 1910 à
décembre 1923 divers journaux et revues, dont la collection
des « Cahiers de la Société du Sud (Nanshe congke《南社丛刻》).
Parallèlement, Bao Tianxiao prend la direction du supplément
mensuel de l’Eastern Time dédié au roman et à la nouvelle (Xiaoshuo
shibao《小说时报》),
fondé en septembre 1909. Bao Tianxiao y publie des histoires
traditionnelles d’amours entravées par le poids des
traditions mais exaltant la pureté des sentiments féminins.
Et en 1911, il devient rédacteur en chef de l’ Eastern Time
Madame (Funü shibao《妇女时报》)
qui s’adresse au public des jeunes urbaines modernes en
répondant aux préoccupations quotidiennes de la femme au
foyer, en lui donnant des conseils d’hygiène et de
cosmétique.
Mais il
publie aussi bien dans des revues éducatives alors créées
pour accompagner le développement d’une éducation moderne
encore balbutiante, dont la Jiaoyu zazhi (《教育杂志》)
lancée par la Commercial Press (商务印书馆)
en 1909. De manière typique, la revue publie aussi des
œuvres littéraires, dont l’une des plus célèbres de Bao
Tianxiao: « Le journal d’écolier de Petit Xin » (Xin’er
jiu xue ji《馨儿就学记》),
un récit qui décrit la vie quotidienne d’un petit écolier
dans une école moderne
.
Publié en feuilleton pendant un an à partir d’août 1910, il
a obtenu en 1916 le prix du ministère de l’Education. Mais
ce prix du ministère avait été décerné au livre dans la
catégorie « œuvre originale de fiction » alors que la
nouvelle de Bao Tianxiao était inspirée de la traduction en
japonais d’un bestseller italien, « Cuore », écrit par
Edmondo de Amicis en 1886, traduit en anglais en 1887, puis
en japonais en 1902
.
Le texte a refait surface à Taiwan en 1976, dans une
traduction annotée, en vernaculaire moderne.
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La revue éducative
Jiaoyu zazhi |
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Le journal d’écolier de
Petit Xin |
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Finalement, en 1912, le rédacteur en chef de l’ Eastern Time
Chen Jinghan (陈景韩)
ayant quitté le journal pour rejoindre le Shenbao (《申报》),
Bao Tianxiao lui succède à ce poste. Il diversifie encore
son approche pragmatique, visant à toucher les publics les
plus divers dans un contexte extrêmement concurrentiel. Il
lance le « Petit Eastern Time » (Xiao Shibao《小时报》),
destiné plus particulièrement à une frange de lecteurs
urbains avides de ragots et de scandales. Mais,
parallèlement, il fait aussi paraître un manuel éducatif sur
la République et la nouvelle société (Xin Shehui -
Gongheguo xuanjiangshu
《新社会
共和国 宣讲书》)
dans le but d’initier les lecteurs aux nouvelles valeurs
républicaines.
En 1915,
il devient rédacteur de la revue semestrielle Grand Magazine
(Xiaoshuo Daguan《小说大观》),
éditée par le Wenming Bookstore (文明书局)
fondé en 1902. En 1917, il devient aussi le rédacteur en
chef de la revue littéraire illustrée Xiaoshuo huabao
(《小说画报》).
Et finalement, en 1919, il quitte l’ Eastern Time pour
publier des chroniques dans le tabloïd The Crystal (Jingbao《晶报》).
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Le Xiaoshuo Daguan |
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Le Wenming
Bookstore |
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La Chine
est à un tournant : celui de
la Nouvelle Culture
née du
mouvement du 4 mai,
et le développement d’une littérature en baihua,
centrée sur la nouvelle.
1920-1927 : les romans en vernaculaire
En 1920,
Bao Tianxiao part à Pékin où il entreprend d’écrire un roman
en langue vernaculaire, fondé sur la vie de Mei Lanfang (梅兰芳),
et intitulé Liufang ji (《留芳记》).
C’est un roman sérieux, qui lui a donné beaucoup de mal,
dit-il (…于《留芳记》,是下了一番工夫。),
qui est autant sur la vie politique de l’époque que sur
celle de Mei Lanfang, et qui, en ce sens, préfigure son
roman suivant, « Printemps et automnes de Shanghai ».
Mais il ne
trouve pas d’éditeur et revient à Shanghai où, en 1922, il
devient le rédacteur en chef de l’hebdomadaire littéraire
Xingqi (《星期》),
ou La semaine, édité par la maison d’édition Dadong (大东书局).
C’est un journal moderne et ouvert, en particulier sur les
questions de société, mais non élitiste. Bao Tianxiao y
publie une nouvelle caractéristique de l’orientation de la
revue : « Une famille dynamique » (Huodong de jia《活动的家》).
En septembre, il prend en outre la direction de la revue
Evergreen (Changqing《常青》)
éditée par la société littéraire Qingshe (青社).
De 1924 à
1926, il se concentre sur l’écriture et la publication d’un
de ses grands romans en langue vernaculaire dont le titre a
une saveur de roman classique : « Printemps et automnes
de Shanghai » (《上海春秋》)
publié par la maison d’édition Zhonghua shuju (中华书局),
les derniers chapitres en octobre 1926. Il sera réédité en
1991 aux éditions Shanghai guji (上海古籍出版社),
éditeur de textes anciens.
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Printemps et automnes de
Shanghai |
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À partir
de 1925, et pendant dix ans, il continue de contribuer à
diverses revues de Shanghai, de l’avant-garde élitiste aux
plus populaires comme Ziluolan (《紫罗兰》)
fondée fin 1925, également éditée par la maison Dadong et
dirigée par son ami Zhou
Shoujuan (周瘦鹃).
Bao Tianxiao y publie des romans et nouvelles, mais aussi
des notes du genre
biji
(笔记).
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La revue Ziluolan
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En 1935,
il dirige encore, pendant six mois, le supplément littéraire
du quotidien Libao (《立报》),
intitulé Huaguoshan (《花果山》)
du nom d’une montagne du Jiangsu – supplément édité par
Zhang Henshui (张恨水).
1937-1973 : écrits de guerre et départ à Taiwan, puis à Hong
Kong
Pendant la
guerre, Bao Tianxiao continue à publier romans et nouvelles
dans des revues et des journaux, comme le bi-mensuel Rose (Meigui《玫瑰》)
ou le Mensuel de la fiction (Xiaoshuo yuebao《小说月报》).
Ses récits reprennent son canevas traditionnel d’amours
contrariées, mais en les adaptant en récits patriotiques de
résistance contre l’envahisseur.
En 1943,
il publie ses premiers souvenirs d’enfance sous forme de
notes biji, les « Notes du Pavillon de l’étoile
d’automne » (Qiuxingge biji《秋星阁笔记》)
qui paraissent dans le mensuel Dazhong (《大众月刊》).
L’année suivante, en 1944, le rédacteur en chef de la revue
mensuelle Wanxiang (《万象》),
ou Dix mille phénomènes, ayant créé une rubrique « Le Bund
il y a trente ans » (Sanshisan nian qian de Shanghaitan《三十三年前的上海滩》),
Bao Tianxiao y publie ses souvenirs de journaliste et
d’éditeur de presse à Shanghai : « Le milieu de la presse et
moi » (Wo yu xinwen jie
《我与新闻界》)
et « Le milieu des revues et moi » (Wo yu zazhi jie
《我与杂志界》).
En 1948,
il part rejoindre son fils à Taiwan, sans savoir qu’il ne
reviendra jamais en Chine continentale. Il publie quelques
poèmes et de brefs récits dans des journaux, et participe à
la fondation d’un journal illustré inspiré des journaux
shanghaïens, le Huabao (《画报》).
C’est alors qu’il commence la rédaction de ses souvenirs
après, dit-il, avoir rêvé de sa mère. Le manuscrit restera
inachevé plusieurs années car il déménage à Hong Kong en
1950, à l’invitation de son fils cadet qui y est installé.
En 1955, il en termine la première partie (jusqu’en 1920).
En 1958,
il publie son 33e roman : « La nouvelle légende
du Serpent blanc » (Xin Baishe shuan《新白蛇传》)
qu’il faut ajouter à la longue liste des
œuvres sur cette légende.
En 1960,
il publie un ouvrage personnel d’histoire littéraire : « Le
courant des "Canards mandarins et papillons" et moi » (Wo
yu Yuanyang hudie pai《我与鴛鴦蝴蝶派》).
Il s’y attache à se distancier des auteurs associés à ce
courant, comme ses amis Zhou
Shoujuan ou Zheng
Henshui, mais surtout de
Xu Zhenya (徐枕亚)
et autres collaborateurs et contributeurs de la revue Samedi
(Libailiu《礼拜六》)
représentatifs de ce courant.
En 1966
paraît une première partie de ses « Souvenirs de l’ombre de
la chambre du bracelet » (《钏影楼回忆录》),
en feuilleton dans la revue bimensuelle Dahua (《大华》)
fondée par Gao Baoyu (高伯雨),
intellectuel shanghaïen venu s’installer à Hong Kong. À la
fin de l’année, la revue est au bord de la faillite ; Bao
Tianxiao accepte de poursuivre la publication sans être
rémunéré. Mais, en avril 1968, ses difficultés financières
obligent finalement la revue à mettre la clef sous la porte.
Seulement les deux-tiers des souvenirs ont été publiés. La
publication reprend en 1969 dans la revue Jingbao (《晶报》),
puis en 1970 dans la revue Dahua relancée par Gao
Baoyu.
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La revue Dahua de
Guo Baoyu |
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En juillet
1971, alors que la suite des Souvenirs doit paraître, la
revue doit à nouveau cesser de paraître. Après bien des
atermoiements, la Suite des Souvenirs (《钏影楼回忆录续编》)
paraîtra en décembre 1972, aux éditions Dahua.
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Souvenirs de la chambre
de l’ombre du bracelet,
éd. chinoise 1971 |
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Souvenirs de la chambre
de l’ombre du bracelet |
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Bao
Tianxiao meurt le 24 novembre 1973, à l’âge de 97 ans.
Également scénariste
Il aura
aussi participé aux premiers balbutiements du cinéma de
Shanghai. Il a consacré un chapitre de ses Souvenirs à ses
activités de scénariste (我与电影).
Il a écrit
deux scénarios pour des films des débuts de
Bu Wancang (卜万苍) :
1926 :
Liangxin fuhuo《良心复活》
adapté du roman de Tolstoï « Résurrection »
1929 :
Nuling fuchou ji (《女伶复仇记》)
Deux camarades de classe amoureux d’une actrice ; l’un se
venge
cruellement de l’autre qu’il a vu en tête à tête avec elle.
Mais il a
surtout écrit pour
Zhang Shichuan (张石川)
et Zheng Zhengqiu (郑正秋)
à la Mingxing (明星影片公司) où
il était très bien payé. On lui doit les scénarios de cinq
films, le dernier, le plus célèbre, à l’avènement du cinéma
parlant :
1925 :
Poor Girl《可怜的闺女》
1926 : A
Good Guy《好男儿》
1926 : The
Daughter of a Wealthy Family《富人之女》
1926 : A
Lovelorn Actress
《多情的女伶》
1934 :
Lonely Orchid Kong gu lan《空谷兰》
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Le scénario de « Lovely
Orchid »《空谷兰》 |
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Sa
nouvelle « Un fil de lin » (《一缕麻》)
est une autre histoire célèbre. Elle a été adaptée en
opéra yueju,
et le rôle
principal de Lin Renfen (林纫芬)
a été créé par Mei Lanfang (梅兰芳).
Un film de l’opéra, réalisé par Liang
Yongzhang (梁永璋), est
sorti en 1998.
(Dans la
nouvelle, une jeune fille, Huifen (慧芬),
est mariée à un malade mental et doit rompre avec le
camarade de classe qu’elle aime depuis dix ans. La nuit du
mariage, elle tombe malade : c’est la diphtérie. Tous les
domestiques s’enfuient, personne ne veut l’approcher ; seul
son mari la soigne, et elle guérit. Mais lui a attrapé la
maladie et en meurt. Huifen est prise de remords et de
regrets et reste inconsolable).
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Lin Renfen incarnée par
Mei Lanfang
dans l’adaptation en opéra yueju de « Un fil de lin
» |
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Et
finalement : inclassable
Limiter
Bao Tianxiao à l’image usuelle d’écrivain de
romans-feuilletons à l’eau de rose et l’étiqueter ainsi en
opposition aux écrivains « sérieux » dans la mouvance de Lu
Xun apparaît comme extrêmement réducteur : c’est l’héritage
d’une tradition qui remonte à 1919, dans le contexte de
l’essor du mouvement des écrivains de gauche, lié au
développement de la nouvelle en baihua en rupture
avec tout ce qui avait précédé, et en particulier le roman.
Bao
Tianxiao est à la croisée des chemins, écrivant en langue
classique, celle des traductions de romans étrangers, mais
s’adaptant peu à peu à la vogue des romans en langue
vernaculaire – empruntant à la tradition comme s’en
distinguant, mais sans jamais la renier, et surtout évitant
l’idéologie de gauche avec son penchant au didactisme. Il a
modernisé la langue classique mais amélioré aussi le
vernaculaire. Alors que le gouvernement avait passé en 1920
une loi faisant du vernaculaire la langue standard, au
détriment de la langue classique, Bao Tianxiao, avec
Zhou Shoujuan (周瘦鹃),
a été de ceux qui ont alors défendu la langue classique
comme véhicule de pensée et pour sa beauté.
On
redécouvre aujourd’hui le personnage et son œuvre dans toute
son immense variété, avec son fond de pragmatisme et
d’éclectisme, incitant à considérer la littérature populaire
comme un complément littéraire de la « nouvelle
littérature » des années 1920, apportant un jour plus nuancé
sur la société et la politique.
Un
exemple : Jiazi xu tan
Publié en 1926,
Jiazi xu
tan
(《甲子絮谈》)
est un exemple-type de roman populaire qui a eu du succès :
il raconte de manière extrêmement vivante la cruauté de la
guerre menée par les seigneurs de la guerre dans les années
1920, dans le plus profond mépris de la vie humaine. C’est
en même temps un tableau de la société chinoise du Jiangsu
et du Zhejiang à cette époque de chaos. Le terme de Jiazi
(甲子)
désigne l’année 1924 selon la manière traditionnelle de
désigner les années en utilisant une combinaison de rameau
terrestre (地支)
et de tronc céleste (天干)
du cycle sexagésimal.
On a
comparé ce récit avec un roman de
Ye Shengtao (叶圣陶)
qui se situe à la même époque
:
« Monsieur Pan aux abois » (《潘先生在难中》).
Celui de Ye Shengtao dresse un portrait-type d’un petit
intellectuel bourgeois qui abandonne sa famille et l’école
qu’il dirige pour fuir la guerre. C’est une satire de la
réalité sociale, une réflexion un peu caricaturale sur les
faiblesses, l’égoïsme et l’impuissance des petits
intellectuels confrontés à cette situation de crise. La
peinture est noire, et monsieur Pan sans espoir.
Le récit
de Bao Tianxiao, lui, est purement narratif, fondé sur la
réalité des combats menés par les seigneurs de la guerre
dans la région du Zhejiang et du Jiangsu, montrant de
manière très réaliste l’afflux de réfugiés, les tensions
nées du manque de logements, le caractère endémique de la
prostitution, les activités lucratives des prêteurs sur
gages, les vols, enlèvements et exactions diverses… C’est un
tableau panoramique de la vie dans ces conditions, avec une
foule d’anecdotes et de détails très vivants, donnant un
sentiment d’authenticité. Mais en même temps le but est de
distraire le lecteur, pas de lui livrer une leçon morale.
Par
ailleurs, Bao Tianxiao a construit sa narration comme un
roman à chapitres classique. Les vingt chapitres sont, de
manière traditionnelle, introduits par une phrase ou une
double sentence, et chacun est amené, comme le veut la
tradition des conteurs, par une phrase incitant le lecteur à
poursuivre l’histoire en suscitant sa curiosité (si vous
voulez savoir…). En outre, la langue est celle de tous les
jours, avec même dans les dialogues des expressions en
dialecte. Par exemple, on comprend qu’une personne « au
visage blanc » est quelqu’un de paresseux, qui ne fait rien.
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Biographie de Bao
Tianxiao,
le roi de la littérature
populaire |
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Il y a
encore très peu de traductions de récits de Bao Tianxiao, et
elles sont limitées à ses mémoires, à l’exception d’une ou
deux nouvelles, dont « Un fil de lin ». Donc c’est tout un
pan de littérature chinoise de la première moitié du 20e
siècle qui reste à découvrir.
Quelques publications
1913 :
Lamentation pour un jeune orphelin《孤雏感遇记》
1920 :
L’équipe des jeunes détectives《童子侦探队》
1925 :
Histoire de parfum
《留芳记》
1922-1927 : Printemps et automnes de Shanghai《上海春秋》
1926 :
Jiazi xu tan《甲子絮谈》
1927 :
L’enfer sur terre《人间地狱集》
1931 :
Histoire de pierres enterrées et abandonnées《埋石弃石记》
1943 : Un
couple de la grande époque《大时代的夫妇》
1971-1973 : Souvenirs de la chambre de l’ombre du bracelet
et sa suite《钏影楼回忆录续编》
1974 :
Changements sur un siècle des besoins fondamentaux de
l’existence《衣食住行的百年变迁》
Traduction en anglais
“So Near,
So Far” , tr.
Timothy C. Wong. In Wong, Stories
for Saturday: Twentieth Century Chinese Popular Fiction.
University of Hawaii Press, 2003, pp. 73-88.
Traduction en français
Souvenirs de la chambre de l’ombre du bracelet (《钏影楼回忆录》),
traduction, notes, avant-propos et postface de Joachim
Boittout, préface de Sebastian Veg, éd.
Rue d’Ulm,
2021.
(Traduction de seize des
106 brefs chapitres originaux
des
Souvenirs et de deux nouvelles, « Un fil de lin » et « L’oie
solitaire »).
À lire
en complément
L’histoire des revues littéraires chinoises avant 1949
Une thèse
(Université de Toronto, 2000) :
Before the Revolution, two short stories by Bao Tianxiao and
Zhou Shoujuan during the early years of the Republic: “Qie
ming bo”
《妾命薄》and
“Yi lü ma”
《一縷麻》
https://tspace.library.utoronto.ca/bitstream/1807/15091/1/NQ53719.pdf
“Memoirs of Bracelet Shadow Chamber” [excerpts], tr.
Joyce Luk, Renditions 38:
1-26.