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Les écrivains Yan Geling et Chen Yunfei,

lauréats 2023 des prix décernés par l’Independant Chinese PEN Centre à Taipei

par Lou Lee Po, 23 octobre 2023

 

Traduction de l’article original paru en chinois sur le site de Radio Free Asia : https://www.rfa.org/mandarin/yataibaodao/renquanfazhi/hx-10052023095733.html

 

Le 5 octobre [2023], l’Independant Chinese PEN Centre (独立中文笔会) a tenu sa cérémonie de remise de prix. L’écrivaine Yan Geling (严歌苓) a obtenu le prix de « l’écriture libre » ( 自由写作奖 ) [1], et l’auteur emprisonné Chen Yunfei (陈云飞) « le prix Liu Xiaobo du courage littéraire » (刘晓波写作勇气奖). 

 

 

Remise des prix par Cai Chu et Liao Tianqi

 

 

La présidente d’honneur de l’Independant Chinese PEN Centre, Mme Liao Tianqi (廖天琪), a remis le « prix 2022 de l’écriture de la liberté » à Yan Geling, pour commémorer ainsi la journée internationale des droits de l’homme. La 13ème édition « du prix Liu Xiaobo du courage littéraire » revient à l’écrivain Chen Yunfei, toujours derrière les barreaux. Les deux lauréats n’ont pu assister à la remise des prix, mais la vidéo de remerciements de Yan Geling a pu être diffusée lors de la cérémonie. 

 

Dans la vidéo, Yan Geling s’est excusée de n’avoir pu venir en personne à Taiwan recevoir son prix, elle a également salué l’encouragement que cela représente pour elle, dans sa démarche littéraire et sa fidélité à l’indépendance qui est la sienne. 

 

Yan Geling: foncer pour écrire la plus grande œuvre de sa vie 

 

Yan Geling a déclaré: « Je peux enfin écrire sans entrave et sans censure, écrire de façon libre et indépendante. Je vais écrire des œuvres reflétant encore davantage mon indépendance et ma liberté d’esprit, et j’espère qu’elles constitueront les meilleures œuvres de cette tranche de vie. »  

 

Lors de son entretien accordé à Radio Free Asia, le président de l’Independant Chinese PEN Centre, Cai Chu (蔡楚), a déclaré que Yan Geling avait annulé sa visite à la dernière minute en raison d’une brûlure ne lui permettant pas de venir recevoir le prix en personne. A propos des motifs les ayant incités à récompenser Yan Geling, il a affirmé que c’est une manière de rendre hommage « à son courage, dans son isolement face à la Chine, et à sa liberté de ton ».

 

Mme Liao a présenté Yan Geling comme une romancière et scénariste chinoise de nationalité américaine, s’exprimant en chinois et en anglais. Elle est née en 1959 à Shanghai, dans une famille d’intellectuels issue d’une grande lignée. A 12 ans, elle a rejoint les rangs de la troupe artistique de l’Armée populaire de Chine à Chengdu, en tant que danseuse. C’est dans ce cadre qu’elle s’est rendue six fois sur les hauts plateaux tibétains pour participer à des représentations dites « de réconfort », à destination des garnisons de soldats basées dans ces contrées. A l’âge de 20 ans, Yan Geling publie un conte pour enfant sous forme de poème, à 21 ans elle se reconvertit dans le journalisme et part à la frontière sino-vietnamienne couvrir le conflit, à 22 ans elle commence à publier régulièrement, et à 28 ans elle sort son premier roman « Sang Vert ».

 

 

La médaille « de la liberté d’écriture »

 

 

L’écrivaine taïwanaise Yan Minru (颜敏如) a déclaré à Radio Free Asia que « pendant le COVID-19, Yan Geling a publié des écrits critiques à l’égard des autorités chinoises, et ses œuvres ont été retirées de la vente. La mention de ses crédits a été supprimée des adaptations au cinéma de ses œuvres, ce qu’elle considère comme illégal. Initialement, elle était très célèbre en Chine, et aujourd’hui elle y est censurée».

 

Un écrivain s’exprimant de manière anonyme souligne en off qu’en Chine, l’ensemble du processus d’édition est soumis à un strict protocole d’examen et d’approbation, les numéros ISBN sont placés sous la férule du Département de propagande du Comité central du PCC et de l'Administration de la presse et des publications. Seules les parutions concernant la politique, tels que les discours de Xi Jinping, ou les écrits émanant du Congrès du Comité central, ne sont soumises à aucune restriction. Autrement, le processus d’approbation des parutions littéraires, artistiques ou scientifiques est très strict. Grâce à une écriture libre et à cette forme littéraire du détour, Yan Geling a bénéficié d’une certaine aura en Chine, l’exemple le plus emblématique étant « Fanghua » (《芳华》), adapté au cinéma. La raison invoquée publiquement pour justifier son absence à la cérémonie est une blessure de cuisine, à moins que cela ne soit à mettre au compte d’une éventuelle remise en vente de ses ouvrages en Chine.

 

Lors d’un entretien avec Radio Free Asia, l’auteur taïwanais Li Minyong (李敏勇) a souligné que la situation dans laquelle la question politique place les travailleurs littéraires en Chine se reflète dans le mouvement qui pousse maintenant les écrivains à l’exil, ce qui est devenu un réel sujet de préoccupation. L’Independant Chinese PEN Centre réunit les auteurs chinois dissidents basés à l’étranger, à travers les prix qu’elle décerne et le forum de discussion qu’elle propose, elle exprime un certain nombre de positions et offre un soutien aux auteurs chinois confrontés à une telle situation.

 

Chen Yunfei, emprisonné pour la troisième fois, a reçu le prix « Liu Xiaobo du

courage littéraire »

 

Le prix Liu Xiaobo du courage littéraire est remporté par Chen Yunfei, alors qu’il est lui-même en prison. M. Cai Chu a déclaré que lorsque Chen Yunfei, âgé aujourd’hui de 55 ans, était à Pékin en deuxième année à l’Université agricole, au département élevage, il avait participé au mouvement étudiants de 1989, et avait rejoint le groupe des grévistes de la faim sur la place Tiananmen. Il a plusieurs fois aidé les pétitionnaires dans leurs activités de protection des droits, et il fut longtemps surveillé et menacé par la police de Chengdu pour avoir souvent voulu aller à Pékin rendre hommage à l’ancien secrétaire général, Zhao Ziyang. Le 4 juin 2007, Chen Yunfei a été arrêté, sous prétexte de « délit d’incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat » après avoir publié dans le « Journal du soir de Chengdu » une annonce saluant « le courage des mères des victimes du 4 juin ».

 

De nombreux participants se sont absentés, et les personnes venant de Chine à Taiwan ont fait profil bas lors de la cérémonie

 

La réunion annuelle en 2023 de l’Independant Chinese PEN Centre s’est tenue le 5 octobre dernier dans l’Université nationale d’éducation de Taipei, en marge de cet évènement des prix littéraires ont été décernés et des forums de discussion sur la littérature et la liberté ont été organisés. D’après la liste des personnalités annoncées comme devant participer aux panels de discussion, des noms tels que ceux de Ping Lu (平路), Ma Jian (马建), Murong Xuecun (慕容雪村) et bien d’autres ont été cités. Mais ces derniers ne sont finalement pas venus pour diverses raisons. Quant aux universitaires venus de Chine à Taiwan pour l’événement, ils ont participé en toute discrétion à des échanges en off.

 

 

Yan Geling dans sa vidéo de remerciement

 

 

Pendant la réunion, Mme Liao a lu le message de félicitations adressé par M. Chris Smith, le directeur de la commission Chine du Congrès américain.

 

Chen Ruoxi (陈若曦), auteure ayant vécu la Révolution culturelle, s’est exprimée au micro de Radio Free Asia pour dénoncer le manque de liberté qui règne actuellement dans l’environnement créatif en Chine. « Au départ, dit-elle, j’avais de grandes attentes à l’égard de Xi Jinping, je pensais qu’il conduirait la société chinoise vers une ère de modernité, je ne pouvais imaginer que le contrôle irait croissant. J’appelle la Chine continentale à donner une liberté totale aux auteurs, et à ne pas leur dicter ce qu’ils doivent écrire. Je fais confiance au bon sens des écrivains, qui s’abstiendront d’écrire n’importe quoi, ou de répandre des rumeurs ou des calomnies. »

 

Chen Ruoxi avait affirmé devant Chiang Ching-kuo que les manifestants de l’incident de Formose n’étaient pas des fauteurs de trouble mais des combattants pour la liberté

 

Chen Ruoxi a évoqué l’incident de Formose de 1979, que Chiang Ching-kuo avait qualifié de « rébellion violente », entraînant ainsi une vague d’arrestations massives. Lors d’un voyage fait pour l’occasion entre les Etats-Unis et Taiwan, elle a affirmé que « Lorsque Wu San-lien [ancien maire de Taipei] m’a accordé le 1er prix littéraire, il m’a dit que le président ne pouvait pas improviser d’entrevue comme cela, qu’il convenait de « solliciter une audience », qu’il allait d’abord m’emmener voir Tsiang Yien-si. J’ai échangé avec ce dernier, qui m’a dit, dès le lendemain, que Chiang ching-kuo voulait me rencontrer. Alors je suis allée le voir, et je lui ai expliqué, que ces quelques personnes n’étaient pas des putschistes, qu’il s’agissait de patriotes, réclamant seulement la démocratie et la liberté. »

 

Elle ajoute : « Il m’a posé une question : Mme Chen, à votre avis, que recherchaient ces gens-là si ce n’était créer du désordre, des émeutes, un climat insurrectionnel ? Quelles sont leur motivation ? Alors que je ne savais pas bien comment répondre à cette question, j’ai lancé « c’est comme un grave accident de la route », cette expression devenant par la même occasion une blague restée célèbre, les yeux de Chiang Ching-kuo se sont soudain agrandis. »

 

Chen Ruoxi ajoute que Chiang Ching-kuo a refait appel à elle ultérieurement, il voulait à nouveau entendre son point de vue. La deuxième fois qu’elle a rencontré Chiang Ching-Kuo, elle a parlé plus ouvertement en disant que la population souhaitait sincèrement le bien du pays.

 

Lorsque le journaliste lui demande : « A ce moment-là, le dictateur régnant sur Taiwan pouvait-il encore écouter l’avis d’un écrivain ?», Chen Ruoxi répond : « oui ».

 

Cai Chu a souligné que depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, le régime de censure est encore plus strict, un grand nombre d’auteurs, de pétitionnaires ou d’internautes chinois se positionnant pour la liberté d’expression ont été arrêtés, suspectés d’« avoir provoqué des querelles et des troubles », et emprisonnés, et l’Independant Chinese PEN Centre a secouru des milliers de personnes ces vingt dernières années.

 

Article de Xia Xiaohua ; traduction : Lou Lee Po.

 

 


[1] Ou « de la liberté d’écriture ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     

 

 

 

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