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He-Yin Zhen, anarchiste féministe
Présentation
par Brigitte Duzan, 2 septembre 2018
He-Yin Zhen (何殷震)
est une anarchiste féministe chinoise née vers
1884 et morte vers 1920. Il s’agit de son nom de
plume, composé du patronyme de son père (He
何)
et du nom de jeune fille de sa mère (Yin
殷),
puisqu’on ne voit pas pourquoi une femme
porterait uniquement le nom de son père. Zhèn
(震)
est le prénom qu’elle s’est choisi, qui signifie
secouer, ébranler. Voilà déjà sa
personnalité esquissée en quelques caractères.
Elle est considérée comme une théoricienne
engagée qui a joué un rôle primordial dans la
naissance du féminisme en Chine, au début du 20e
siècle.
Vie
On connaît très peu de choses de sa vie. Née
dans une famille vraisemblablement prospère à
Yizheng (仪征),
dans le Jiangsu, elle a sans doute reçu une
excellente éducation |
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He-Yin Zhen, la seule
photo que l’on ait d’elle |
comme semble l’indiquer la connaissance des classiques
dont elle fait preuve dans ses écrits. Elle et sa sœur
ont été mariées à deux frères de la même ville.
Pour ce qui la concerne, après avoir épousé Liu Shipei (刘师培)
en 1903, elle va vivre avec lui à Shanghai où elle étudie un an
à l’Ecole des femmes patriotiques dirigée par Cai Yuanpei (蔡元培).
En 1904, le couple déménage à Tokyo. Né en juin 1884, Liu Shipei
était un philologue anarchiste et un militant révolutionnaire
qui voulait cependant préserver l’essence de la culture
chinoise, et en particulier le taoïsme. La vie et la pensée de
He-Yin Zhen sont indissociables des siennes.
Le journal Tianyi |
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A Tokyo, He-Yin Zhen participe à la mouvance
anarchiste. Elle contribue au journal Tianyi
(天义报)
fondé par le couple et publié pendant les deux
années 1907 et 1908. Mais elle est aussi l’une
des principales plumes du journal Les Temps
nouveaux, devenu plus tard Nouveau siècle
(新世紀),
publié à Paris de juin 1907 jusqu’en mai 1910
par le groupe anarchiste conduit par Li Shizeng
(李石曾),
Zhang Renjie (张人杰)
et Wu Zhihui (吴稚晖).
En 1907,
à Tokyo, elle fonde également l’Association pour
les droits des femmes (Nüzi
fuquan hui
女子妇权会),
groupe anarcho-féministe opposé à la dynastie
des Qing et au confucianisme, et en faveur de la
fin de la domination masculine et de la
soumission féminine prônées par la culture
traditionnelle chinoise. L’Association allait
jusqu’à appeler au recours à la force pour en
finir avec les structures sociales confucéennes
et capitalistes.
En 1909, après une dispute avec le philologue et
critique révolutionnaire Zhang Binglin (章炳麟,)
le couple revient en |
Chine. Ils ont alors travaillé pour le régime mandchou,
ce qui leur vaudra des accusations de collusion et les
foudres de Zhang Binglin. Il y aurait eu un tournant
radical dans leur vie en 1908-1909, après que leur
journal Tianyi ait cessé de paraître
.
Après la révolution de 1911, Liu Shipei
travaille avec le nouveau gouvernement, s’engage
même en 2015 dans la campagne pour faire
couronner Yuan Shikai empereur, puis, à
l’invitation de Cai Yuanpei (蔡元培),
entre à l’université de Pékin. Il serait alors
devenu l’une des personnalités les plus
conservatrices de Chine
.
Mais il meurt de tuberculose en 1919, à l’âge de
35 ans.
Après cette date, la vie de He-Yin Zhen devient
un mystère. Dans la dernière
partie de la vie de Liu Shipei, elle aurait avec lui
servi d’informateur à la police et ils sont entrés au
service du gouverneur mandchou Duanfang (端方)
.
Selon certaines rumeurs, elle aurait été impliquée dans
une tentative d’assassinat, ce qui aurait nécessité de
conclure un accord pour sauver sa tête.
Selon certaines sources, après la mort de Liu Shipei, elle
serait devenue nonne et aurait été ordonnée sous le nom de Xiao
Qi (). Selon d’autres, désespérée par la disparition de son
époux, elle serait morte de troubles mentaux.
Ecrits
He-Yin Zhen est l’auteur de plusieurs ouvrages et essais sur la
question féminine et le travail des femmes.
- Sur la question de la libération des femmes
(《女子解放问题》)
est un essai paru en 1907 dans le journal
Tianyi dans lequel elle prône l’égalité
entre hommes et femmes comme fondement de
l’égalité entre les être humains ;
- Sur la question du travail des femmes,
essai publié en juillet 1907 dans Tianyi,
commence par une étude historique de
l’exploitation de la main-d’œuvre féminine
qu’elle fait commencer avec le « système des
champs organisés selon le caractère de puits »
(jǐngtián zhìdù
井田制度),
système de distribution des terres existant
pendant la période des Royaumes combattants
;
elle met un accent particulier sur les problèmes
de prostitution féminine, d’infanticide féminin
et de concubinage de son époque.
- Dans Révolution économique et révolution
féminine (《经济革命与女子革命》) ainsi
que dans Sur la revanche des femmes (《女子复仇论》),
elle pose l’homme comme l’ennemi héréditaire de
la femme. |
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La revanche des femmes |
- Le manifeste féminin (《女子宣布书》)
est aussi un pamphlet attaquant le pouvoir dominant de
l’homme dans la société.
Sa pensée est anti-universaliste, au sens où elle est ancrée
dans l’histoire et la tradition culturelle chinoises. Mais elle
est incroyablement moderne, dans sa radicalité. Cela ressort
nettement quand on lit, en regard, des articles ou essais de
personnages illustres de la même époque considérés comme les
« pères fondateurs du féminisme chinois » comme Liang Qichao (梁啟超)
et Jin Tianhe (金天翮).
On peut donc considérer He-Yin Zhen comme une pionnière du
mouvement transnational pour les droits de la femme
.
Ouvrage de référence
The Birth of Chinese Feminism: essential texts
in transnational theory.
Edited by Lydia H. Liu, Rebecca E. Karl, and
Dorothy Ko.
Columbia University Press, 2013,
328 p.
Traductions annotées de six des essais majeurs
de
He-Yin
Zhen,
ainsi que d’un article et d’une brochure de deux
de ses contemporains,
Jin Tianhe
(1874-1947) and Liang Qichao (1873–1929)
,
considérés comme des écrits fondamentaux du
féminisme en Chine :
Introduction: Toward a Transnational Feminist
Theory
The Historical Context: Chinese Feminist Worlds
at the Turn of the Twentieth Century
- He-Yin Zhen Biography
"On the Question of Women's Liberation" / "On
the Question of Women's Labor"
"Economic Revolution and Women's Revolution" /
"On the Revenge of Women"
"On Feminist Antimilitarism" / "The Feminist
Manifesto" |
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The Birth of Chinese Feminism |
- Liang Qichao Biography / "On Women's Education"
(article publié en 1897)*
- Jin Tianhe Biography / "The Women's Bell"
《女界钟》(brochure
parue en 1903)**.
* En appelant à une meilleure éducation des femmes et à leur
participation à la construction de la nation, le philosophe et
journaliste Liang Qichao exprime la voix des intellectuels
progressistes libéraux qui y voient la condition du bien public
et de la survie de la Chine.
** La cloche des femmes,
de l’écrivain et éducateur Jin Tianhe ,est le premier manifeste
du féminisme chinois et le premier livre systématique sur les
droits des femmes à l’éducation, au vote, au travail et à la
dignité humaine ; mais Jin Tianhe pense aussi que l’émancipation
des femmes est une composante d’un projet plus large, masculin
ou patriarcal, de développement des Lumières et de consolidation
de la nation. Cette brochure, rééditée plusieurs fois en Chine
et au Japon, a influencé He-Yin Zhen
- Influencé par les courants évolutionnistes, ces deux
intellectuels, comme leurs homologues de leur temps, assignent
trois buts importants à la Chine en situation semi-coloniale :
« protéger la nation, protéger l’espèce, protéger l’éducation ».
Liang Qichao notamment pense que la solution réside dans
l’éducation des femmes.
- Par contraste, He-Yin Zhen a développé une pensée originale,
portée par ses deux grands concepts : nannü (男女
hommes et femmes) et shengji (生计
moyens d’existence), le premier plus vaste que sexe-genre, le
second plus que classe.
Selon elle, il y a dilemme entre l’indépendance individuelle et
l’indépendance collective des femmes, mais « le but ultime de la
libération des femmes est de libérer le monde à la fois de la
loi des hommes et de celle des femmes »
Cet ouvrage dément, à partir des textes, la prétendue passivité
des féministes chinoises au sein d’un mouvement des femmes
contrôlé par les hommes. Dans son article Le manifeste
féministe, He-Yin Zhen s’oppose à l’idée que la libération
des femmes viendra de leur participation, aux côtés des hommes,
à une révolution qui mettrait en place un régime de droits des
femmes. Elle croit en effet que l’origine de l’inégalité entre
les hommes et les femmes réside dans les mœurs sociales et
l’éducation : « En résumé, hommes et femmes sont tous deux des
êtres humains. Avec “hommes” (nanxing
男性)
et “femmes” (nüxing
女性),
nous ne pouvons pas parler de “nature”, car les uns et les
autres sont le résultat d’une socialisation et d’une éducation
différentes »
.
A lire en ligne en complément
- What Women Should Know About Communism (Ce que les femmes
devraient savoir sur le communisme), He-Yin Zhen, Tianyi 1907.
http://afe.easia.columbia.edu/ps/cup/hezhen_women_communism.pdf
- He Zhen and Anarcho-Feminism in China, Peter Zarrow, Journal
of Asian Studies 47 n° 4 (November 1988), 796-813
http://libcom.org/files/He%20Zhen%20and%20Anarcha-Feminism%20in%20China.pdf
Traduction en français
La revanche des femmes et autres textes,
recueil de cinq essais traduits par Pascale Vacher, préface de
Jean-Jacques Gandini, postface de Marine Simon (mise en
parallèle avec la vie et l’œuvre de l’autre anarchiste féministe
asiatique, la japonaise Itô Noe), Editions de l’Asymétrie,
janvier 2018.
Présentation par Agathe Senna (ENS Lyon) :
https://www.revue-glad.org/1057
Voir l’article de Lydia H. Liu (刘禾),
Dorothy Ko (高彦颐)
et Rebecca E. Karl (瑞贝卡·卡尔) :
一个现代思想的先声:论何殷震对跨国女权主义理论的贡献
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