Dix ans plus tard, illustré par le pinceau de Li Zhiwu (李志武)
et édité chez Patayo, le roman est devenu un tout aussi
monumental roman graphique,
Qin Opéra
monumental
cette fois par l’image, tandis que le texte a été adapté par la
cinéaste Men Xiaoyan (门晓燕).
Un
long rouleau de plus de 70 mètres
Li Zhiwu avec Jia Pingwa célébrant
l’autorisation
de l’adaptation du roman en avril 2009
Li
Zhiwu a déjà adapté et illustré en roman graphique deux
œuvres également couronnées du prix Mao Dun, lors des 3ème
et 4ème éditions du prix, en 1991 et 1997 :
« Un monde ordinaire » (《平凡的世界》)
de Lu
Yao (路遥)
et « Au
pays du cerf blanc » (《白鹿原》)
de
Chen Zhongshi (陈忠实),
deux écrivains et deux romans que Li Zhiwu n’a pas
choisis par hasard : Lu Yao et Chen Zhongshi sont
originaires du nord du Shaanxi comme Li Zhiwu, né en
1962 dans un district de Yan’an. Jia Pingwa s’inscrit
dans la continuité
des deux
précédents. Li Zhiwu a obtenu son accord en avril 2009.
Le
« Pays du cerf blanc » était déjà une œuvre
impressionnante : 656 pages en forme de
lianhuanhua
(连环画)
publiées en Chine en 1999 dans le Journal des
lianhuanhua (《连环画报》)
à raison de 60 planches de dessin par mois pendant douze
mois – quelque 700 pages au total.
L’entreprise de « Qin Opéra » est du même ordre, en
ajoutant une difficulté supplémentaire, qui est aussi un
attrait de plus : le dessin, cette fois, se déroule sur
un unique long rouleau, dans la tradition du rouleau
horizontal (chang juan hua
长卷画)
Le rouleau déroulé
particulièrement prisé en peinture de paysage (山水长卷画),
mais aussi pour la peinture de scènes de la vie
quotidienne
[3].
Qin Opera, page titre
« Qin Opéra » est un rouleau de plus de 70 mètres –
« réduit » à un rouleau plié de 20 mètres dans son
format édité par Patayo. C’est un dessin ininterrompu,
réalisé à l’encre noire, dans un style qui mêle un
aspect caricatural au réalisme des scènes dépeintes, en
soulignant l’un des aspects du style du roman qualifié
de
« poème épique du monde rural contemporain chinois » (“一卷中国当代乡村的史诗”),
avec toute sa démesure, mais son souffle aussi.
Ente l’accord donné par Jia Pingwa en avril 2009 et l’achèvement
du rouleau en juin 2019, il se sera passé dix ans !
Le
problème du texte
Le
roman nécessitait d’être adapté pour créer l’image, la
faire naître et
l’accompagner. Cette adaptation a
présenté une double difficulté, d’abord en chinois puis
en français.
Le
texte chinois
Pour l’adaptation du texte chinois, Li Zhiwu a été
secondé par la cinéaste et vidéaste Men Xiaoyan qui est
parvenue à réduire le texte en scènes succinctes comme
dans un scénario, ou un livret d’opéra. Titulaire d’un
doctorat de l’Institut des Beaux-Arts de Vienne
Men Xiaoyan (à g.) et Li Zhiwu (à dr.)
travaillant avec le professeur de peinture
de Li Zhiwu, Zhao Zhenchuan
(Akademie
der Bildenden Künste) et d’un master en Image et communication
du Goldsmith College de Londres, elle a trouvé un intérêt
particulier dans ce travail car il est comme un prolongement de
ses propres recherches.
Une photo de Men Xiaoyan, une femme dans
sa cour
Pendant de nombreuses années, en effet, ses recherches
ont porté sur la vie des
villages en Chine, et en particulier celle des femmes.
Elle a pris des milliers de photos de familles
villageoises, et surtout de femmes, à différentes
périodes, l’évolution de leur statut et de leur rôle
dans la société villageoise étant un excellent
indicateur des changements sociaux dans la Chine rurale.
Le
roman de Jia Pingwa apparaît comme une autre vision de
cette Chine rurale, dans son Shaanxi natal. En
collaboration avec Li Zhiwu,
elle a
conçu un découpage de la narration autour de la vingtaine de
personnages principaux, la composition des images suivant
fidèlement cette trame scénaristique. Ce travail à deux leur a
pris quatre ans.
L’adaptation en français
Il
a ensuite fallu adapter ce scénario après l’avoir
traduit en français, traduction réalisée par Marie
Laureillard. D’abord, le texte de la traduction – qui
est au présent comme le récit d’un conteur relatant le
roman - a été révisé pour rendre la rugosité de
l’original, sa brutalité dialectale, par moments, tout
en lissant malgré tout l’expression. Ce qui manque,
c’est la beauté des citations de poèmes et d’extraits
d’opéras qui
Qin Opera, un détail
parsèment le roman et lui insufflent une part de son âme. Mais
on ne peut pas tout faire sur un quart de page.
Les personnages à l’envers de la
couverture
Ensuite, problème supplémentaire, il a fallu réduire ce
texte car le chinois est d’une expression bien plus
ramassée que le français qui, avec ses articles,
prépositions, conjugaisons composées et autres, donne
des textes deux à trois fois plus longs. Or, il fallait
que le texte continue de coller avec l’image sous
laquelle il apparaît.
Au
final, « Qin Opéra » est bien l’image de la décadence du
village à travers celle de son opéra, comme le roman de
Jia Pingwa, image qui se déroule au lieu de tourner
des pages. L’opéra est présent à la
fin, un QR code sur la dernière page de couverture permettant
d’accéder à un enregistrement d’opéra
qin.
On peut
aussi voir une présentation animée du livre, en musique aussi,
et on se prend alors à penser que cela ferait un superbe film
d’animation :
En
attendant, on peut espérer pouvoir lire un jour la traduction en
français du roman original.
Qin
Opéra《秦腔》
Li Zhiwu
李志武
/Men Xiaoyan门晓燕
d'après le
roman de Jia Pingwa
贾平凹,
traduction
de Marie Laureillard, adaptation Marie Laureillard /Laurent
Mélikian /Frédéric Fourreau,
éditions
Patayo, novembre 2021.
Postfaces
de Vincent Durand-Dastès, Laurent Mélikian et Li Zhiwu.
[1]Qin秦étant
le caractère désignant la première dynastie ainsi que la
province du Shaanxi : c’est en effet l’Etat de Qin (秦国),
pendant la période des Royaumes combattants, qui,
poursuivant une politique de conquête et d’expansion, a
réussi à fonder le Premier empire. Cet Etat était à
l’emplacement approximatif du Shaanxi actuel qui en a
gardé le nom.
[2]Ce qui, étant
donné la structure des deux langues, donnerait un livre
de plus de mille pages en français,
approximativement de la longueur de« L’art
perdu des fours anciens » (《古炉》)
paru chez Gallimard
en 2017.