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« Qin Opéra » chez Patayo :

un rouleau monumental de Li Zhiwu illustrant un roman monumental de Jia Pingwa

par Brigitte Duzan, 9 décembre 2021

 

Jia Pingwa (贾平凹) a mis deux ans pour écrire son roman « Opéra Qin » ou Qinqiang (《秦腔》) [1], monumentale saga villageoise de plus de cinq cents pages en chinois [2]  publiée en avril 2005, puis couronnée en 2006 du prix du Rêve dans le Pavillon rouge et en 2008 du prix Mao Dun (茅盾文学奖).

 

Dix ans plus tard, illustré par le pinceau de Li Zhiwu (李志武) et édité chez Patayo, le roman est devenu un tout aussi monumental roman graphique,

 

Qin Opéra

monumental cette fois par l’image, tandis que le texte a été adapté par la cinéaste Men Xiaoyan (门晓燕).

 

Un long rouleau de plus de 70 mètres

 

Li Zhiwu avec Jia Pingwa célébrant l’autorisation

de l’adaptation du roman en avril 2009

 

Li Zhiwu a déjà adapté et illustré en roman graphique deux œuvres également couronnées du prix Mao Dun, lors des 3ème et 4ème éditions du prix, en 1991 et 1997 : « Un monde ordinaire » (《平凡的世界》) de Lu Yao (路遥) et « Au pays du cerf blanc » (《白鹿原》) de Chen Zhongshi (陈忠实), deux écrivains et deux romans que Li Zhiwu n’a pas choisis par hasard : Lu Yao et Chen Zhongshi sont originaires du nord du Shaanxi comme Li Zhiwu, né en 1962 dans un district de Yan’an. Jia Pingwa s’inscrit dans la continuité

des deux précédents. Li Zhiwu a obtenu son accord en avril 2009.

 

Le « Pays du cerf blanc » était déjà une œuvre impressionnante : 656 pages en forme de lianhuanhua (连环画) publiées en Chine en 1999 dans le Journal des lianhuanhua (《连环画报》) à raison de 60 planches de dessin par mois pendant douze mois – quelque 700 pages au total.

 

L’entreprise de « Qin Opéra » est du même ordre, en ajoutant une difficulté supplémentaire, qui est aussi un attrait de plus : le dessin, cette fois, se déroule sur un unique long rouleau, dans la tradition du rouleau horizontal (chang juan hua 长卷画)

 

Le rouleau déroulé

particulièrement prisé en peinture de paysage (山水长卷画), mais aussi pour la peinture de scènes de la vie quotidienne [3].

 

Qin Opera, page titre

 

« Qin Opéra » est un rouleau de plus de 70 mètres – « réduit » à un rouleau plié de 20 mètres dans son format édité par Patayo. C’est un dessin ininterrompu, réalisé à l’encre noire, dans un style qui mêle un aspect caricatural au réalisme des scènes dépeintes, en soulignant l’un des aspects du style du roman qualifié de « poème épique du monde rural contemporain chinois » (一卷中国当代乡村的史诗), avec toute sa démesure, mais son souffle aussi.

 

Ente l’accord donné par Jia Pingwa en avril 2009 et l’achèvement du rouleau en juin 2019, il se sera passé dix ans !

 

Le problème du texte

 

Le roman nécessitait d’être adapté pour créer l’image, la faire naître et

l’accompagner. Cette adaptation a présenté une double difficulté, d’abord en chinois puis en français.

 

Le texte chinois

 

Pour l’adaptation du texte chinois, Li Zhiwu a été secondé par la cinéaste et vidéaste Men Xiaoyan qui est parvenue à réduire le texte en scènes succinctes comme dans un scénario, ou un livret d’opéra. Titulaire d’un doctorat de l’Institut des Beaux-Arts de Vienne

 

Men Xiaoyan (à g.) et Li Zhiwu (à dr.)
travaillant avec le professeur de peinture

de Li Zhiwu, Zhao Zhenchuan

(Akademie der Bildenden Künste) et d’un master en Image et communication du Goldsmith College de Londres, elle a trouvé un intérêt particulier dans ce travail car il est comme un prolongement de ses propres recherches.

 

Une photo de Men Xiaoyan, une femme dans sa cour

 

Pendant de nombreuses années, en effet, ses recherches ont porté sur la vie des villages en Chine, et en particulier celle des femmes. Elle a pris des milliers de photos de familles villageoises, et surtout de femmes, à différentes périodes, l’évolution de leur statut et de leur rôle dans la société villageoise étant un excellent indicateur des changements sociaux dans la Chine rurale.

 

Le roman de Jia Pingwa apparaît comme une autre vision de cette Chine rurale, dans son Shaanxi natal. En collaboration avec Li Zhiwu,

elle a conçu un découpage de la narration autour de la vingtaine de personnages principaux, la composition des images suivant fidèlement cette trame scénaristique. Ce travail à deux leur a pris quatre ans. 

 

L’adaptation en français

 

Il a ensuite fallu adapter ce scénario après l’avoir traduit en français, traduction réalisée par Marie Laureillard. D’abord, le texte de la traduction – qui est au présent comme le récit d’un conteur relatant le roman - a été révisé pour rendre la rugosité de l’original, sa brutalité dialectale, par moments, tout en lissant malgré tout l’expression. Ce qui manque, c’est la beauté des citations de poèmes et d’extraits d’opéras qui

 

Qin Opera, un détail

parsèment le roman et lui insufflent une part de son âme. Mais on ne peut pas tout faire sur un quart de page.

  

Les personnages à l’envers de la couverture

 

Ensuite, problème supplémentaire, il a fallu réduire ce texte car le chinois est d’une expression bien plus ramassée que le français qui, avec ses articles, prépositions, conjugaisons composées et autres, donne des textes deux à trois fois plus longs. Or, il fallait que le texte continue de coller avec l’image sous laquelle il apparaît.

 

Au final, « Qin Opéra » est bien l’image de la décadence du village à travers celle de son opéra, comme le roman de Jia Pingwa, image qui se déroule au lieu de tourner

des pages. L’opéra est présent à la fin, un QR code sur la dernière page de couverture permettant d’accéder à un enregistrement d’opéra qin.  

 

On peut aussi voir une présentation animée du livre, en musique aussi, et on se prend alors à penser que cela ferait un superbe film d’animation :

 

 

En attendant, on peut espérer pouvoir lire un jour la traduction en français du roman original.

 

 

Qin Opéra《秦腔》

Li Zhiwu 李志武 /Men Xiaoyan 门晓燕 d'après le roman de Jia Pingwa 贾平凹,

traduction de Marie Laureillard, adaptation Marie Laureillard /Laurent Mélikian /Frédéric Fourreau,

éditions Patayo, novembre 2021.

Postfaces de Vincent Durand-Dastès, Laurent Mélikian et Li Zhiwu.

 

 


[1] Qin étant le caractère désignant la première dynastie ainsi que la province du Shaanxi : c’est en effet l’Etat de Qin (), pendant la période des Royaumes combattants, qui, poursuivant une politique de conquête et d’expansion, a réussi à fonder le Premier empire. Cet Etat était à l’emplacement approximatif du Shaanxi actuel qui en a gardé le nom.

[2] Ce qui, étant donné la structure des deux langues, donnerait un livre de plus de mille pages en français, approximativement de la longueur de « L’art perdu des fours anciens » (《古炉》) paru chez Gallimard en 2017.

[3] Il en est dix célèbres dans l’histoire de la peinture chinoise : https://www.sohu.com/a/360608768_686587

 

 

 

     

   

 

 

 

 

     

 

 

 

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